Faut-il boycotter l’Euro de foot ?

On peut protester contre les abus de pouvoir en Ukraine sans pour autant pénaliser les sportifs qui jouent pour l’Euro, estime Pascal Boniface. Pour Olivier Basille, il faut faire pression sur les instances sportives pour qu’elles n’organisent pas d’événements dans certains États.

Politis.fr  • 7 juin 2012 abonné·es

Illustration - Faut-il boycotter l'Euro de foot ?

Il faut distinguer deux choses. Le fait de boycotter de façon sportive des jeux ne sert pas à grand-chose, sauf à pénaliser ceux qui boycottent, qui se sont qualifiés sur le terrain.

Pour l’Euro 2012, qui débute en Ukraine (et en Pologne), je ne vois pas pourquoi on demanderait cela aux sportifs quand les entreprises ou les États n’ont pas retiré leurs ambassades ou leurs installations en Ukraine. Et pourquoi les équipes nationales qualifiées devraient-elles ne pas aller jouer en Ukraine, alors que, la compétition étant également organisée en Pologne, celle-ci, qui n’est coupable de rien dans l’affaire, serait la victime indirecte d’une telle décision ? On ne demande pas non plus aux intellectuels de ne plus se rendre en Ukraine pour y faire des conférences. Cela n’a donc pas de sens de le demander à des sportifs. En revanche, que des responsables politiques décident ouvertement de ne pas aller en Ukraine pour envoyer un message, non pas à la compétition, mais aux responsables ukrainiens, c’est différent. Et je pense qu’il est temps de leur adresser ce message ! Il y a eu d’autres exemples dans le passé. En 1978, pour la Coupe du monde de football organisée en Argentine, en pleine dictature militaire, certains avaient demandé que les équipes nationales n’y aillent pas. Mais, à l’époque, l’opposition à la dictature militaire argentine, y compris l’opposition armée au régime, demandait au contraire aux équipes étrangères de venir sur place, justement pour témoigner de ce qui s’y passait. Et c’est ce qui s’est produit.

Bien sûr, la Coupe du monde a été utilisée par le régime comme un moyen de triompher, mais, en même temps, on n’a jamais autant parlé de la dictature et des dérives du régime argentin qu’à l’occasion de cette manifestation. L’organisation de la compétition a attiré là-bas des journalistes du monde entier, qui ont bien sûr commenté les matchs de football, mais ont également parlé de la nature du régime. Et si l’on avait refusé de se rendre en Argentine, le régime ne serait pas tombé pour autant ; en revanche, cette Coupe du monde a rendu ses dérives beaucoup plus visibles ! On peut donc dire que le fait que l’Argentine ait organisé cette compétition (alors que son organisation lui avait été attribuée avant le coup d’État militaire) est plutôt venu affaiblir la junte militaire parce que cela a renforcé la pression sur elle.

De même, en 1980, le boycott des Jeux olympiques de Moscou par les États-Unis et quelques autres pays dans leur sillage n’a pas affaibli l’Union soviétique, parce que la population russe a estimé que c’était une façon de ne pas reconnaître les progrès de leur pays. Et puis on peut remarquer que ce boycott – à l’instigation du président Jimmy Carter, qui voulait en faire un cheval de bataille après l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique pour reconquérir une popularité qu’il avait perdue – n’empêchait pas les États-Unis de continuer à vendre du blé en grande quantité à l’Union soviétique, dont elle avait d’ailleurs grand besoin. On voit donc bien là l’hypocrisie du système.

Ainsi, aujourd’hui, on n’a jamais autant parlé de Ioulia Timochenko que depuis que l’Euro 2012 approche. Il faut bien sûr dénoncer les abus de pouvoir de Viktor Ianoukovitch et de son régime liberticide, qui revient presque à l’ère soviétique, mais, en même temps, il ne faut pas faire de Ioula Timochenko une sorte d’Aung San Suu Kyi de l’Est européen. C’est même un peu curieux que l’on ne parle que d’elle alors qu’il y a d’autres prisonniers politiques : si, bien sûr, on peut penser qu’elle a été condamnée pour des motifs politiques, elle n’est pas non plus exempte de tout reproche. Ce qui n’excuse pas le régime !

Illustration - Faut-il boycotter l'Euro de foot ?

L’enjeu essentiel est d’arriver à convaincre les instances chargées des grands événements sportifs tels que l’Euro 2012 (ou des événements artistiques comme l’Eurovision) de ne pas les organiser dans certains pays. Ces instances ont en effet une lourde responsabilité, en particulier depuis les Jeux olympiques de Pékin, mais on peut citer d’autres manifestations contestées, comme les JO d’été à Moscou en 1980 ou la Coupe du monde de football de 1978 en Argentine. Certains aspects qui président à ces rencontres sportives ne sont pas condamnables en soi (ces événements ont bien sûr une dimension économique), mais faut-il vraiment organiser les JO, par exemple, dans des États où la situation en matière de liberté de l’information ou de droits de l’homme est franchement contestable ?

Le Comité olympique octroie théoriquement les Jeux à un État selon des critères contenus dans sa charte. Or, dans le cas de la Chine, où nous avions appelé au boycott de la cérémonie d’ouverture, une multitude de points n’étaient de toute évidence pas compatibles a priori avec la charte du Comité olympique. Aujourd’hui, il faut réussir à mettre ces instances devant leurs responsabilités quant au choix des pays organisateurs. Leur prétexte est souvent de dire qu’un tel événement va « ouvrir le pays », alors que, en réalité, il leur sert surtout de vitrine, notamment en politique intérieure.

Dernièrement, nous avons mené une campagne contre la tenue du grand prix de Formule 1 à Bahreïn, alors que le gouvernement de cet État pose, comme l’on sait, de nombreux problèmes en termes de respect des droits fondamentaux. N’y a-t-il vraiment pas d’autres lieux pour organiser un grand prix automobile ? Quant à l’argument affirmant que la tenue d’un tel événement dans ce type d’États ferait venir des journalistes et serait donc bénéfique à la population, nous n’y croyons tout simplement pas. Ce que nous constatons, c’est que la presse internationale envoie des journalistes sportifs qui sont accrédités à condition qu’ils ne parlent que de sport et ne critiquent rien, ne posent aucune question et ne regardent surtout pas ailleurs dans le pays ! Parfois, il peut même y avoir des sujets à traiter au niveau sportif qui seraient gênants pour le pouvoir : ainsi, à Pékin, des athlètes chinois étaient obligés de pratiquer l’escrime alors qu’ils n’en avaient ni le désir ni les compétences, et il fallait absolument qu’ils remportent une médaille, sous peine d’avoir de graves problèmes. Eh bien, très peu de journalistes en ont parlé ! À Bahrein, c’est pareil : il n’y a eu aucune couverture des problèmes qui se posent là-bas.

En Azerbaïdjan, pour le concours de l’Eurovision, le 26 mai dernier, personne n’a parlé du régime autoritaire, ni de la femme du Président, qui a dirigé l’organisation, ni de sa fille, qui a chanté pour le pays ! Alors, à quoi sert-il que des journalistes aillent là-bas ? Le boycott, ou plutôt sa menace – pour faire pression sur les organisateurs en tout cas –, doit donc pouvoir être utilisé.

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