Laurent Maffeïs : « La gauche peut enrayer la dynamique Le Pen »

Directeur de cabinet de Jean-Luc Mélenchon, Laurent Maffeïs appartient depuis dix ans au cercle des très proches du candidat. Plutôt discret dans les médias, l’auteur des Cinq mensonges du Front national (éd. Bruno Leprince) revient sur la campagne du Front de gauche dans la circonscription d’Hénin-Beaumont/Carvin.

Pauline Graulle  • 7 juin 2012 abonné·es

Comment rendre compte de l’implantation du Front national (FN) dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais ?

Laurent Maffeïs : Le FN de Marine Le Pen et de Steeve Briois a profité de l’accumulation des affaires de corruption pour faire d’Hénin-Beaumont son laboratoire – notons que, dans les autres communes de la circonscription, le militantisme FN est faible. À Hénin-Beaumont, l’extrême droite a aussi prospéré sur la faillite des barons socialistes locaux tout en participant allégrement aux magouilles. Steeve Briois n’a pas hésité à rencontrer Gérard Dalongeville [l’ex-maire PS d’Hénin-Beaumont, accusé de détournement de fonds, NDLR] pour des arrangements « entre amis ». Politiquement, l’absence de leadership de la droite locale (les électeurs de droite « classique » se tournant donc vers le FN, « faute de mieux ») explique cette radicalisation. Sociologiquement, celle-ci prend ses racines dans la désintégration sociale et le sentiment d’abandon du bassin minier, qui affiche un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale. Face aux licenciements boursiers chez Samsonite à Hénin, aux problèmes de trésorerie qui menacent Durisotti à Sallaumines ou Meryl Fiber, dernière usine fabriquant du fil de nylon, à Saint-Laurent-Blangy, les combines des gestionnaires locaux n’ont aucune portée. Le bassin minier a besoin de lois protégeant l’emploi face au capitalisme financier. Ce chômage est d’autant plus insupportable que la population est encore très imprégnée de culture ouvrière, très attachée à la valeur travail.

Pourquoi le candidat socialiste, Philippe Kemel, et Jean-Luc Mélenchon n’ont-ils pas passé d’accord de premier tour pour faire barrage à Marine Le Pen ?

Sur le plan national, la lutte contre le FN est le cadet des soucis du PS. Au niveau local, beaucoup de responsables et de militants socialistes voient d’un bon œil la candidature du Front de gauche pour mettre en échec le FN. Le président de l’agglomération d’Hénin-Carvin, le socialiste Jean-Pierre Corbisez, a même proposé d’être le suppléant de Jean-Luc Mélenchon. Le PS n’a rien voulu entendre.

Quelle est la stratégie de Jean-Luc Mélenchon pour battre Marine Le Pen ?

Sa candidature dans cette circonscription a d’abord été possible grâce à l’implication enthousiaste de la fédération PCF du Pas-de-Calais, qui était, à tort, réputée « conservatrice ». Au passage, cela prouve la force de la démarche du Front de gauche. La deuxième motivation était de se présenter dans une circonscription où 70 % des habitants sont ouvriers ou employés, pour défendre les classes populaires. Troisième raison de cette candidature : le vide idéologique laissé par la gauche locale permet au FG d’incarner le renouveau à gauche. Mélenchon n’est donc pas à la recherche d’un affrontement personnel avec Le Pen, mais dans la poursuite d’un combat sur le terrain des idées et des consciences pour faire reculer les idées du FN popularisées par Sarkozy.

Combattez-vous sur les mêmes thèmes que le FN ?

Notre méthode, c’est de ne pas les laisser dire, de démonter systématiquement leurs mensonges, de leur opposer la radicalité concrète de notre programme. Par exemple, nous assumons de dire que l’immigration n’est pas le problème : dans le bassin minier, le taux d’étrangers est deux fois inférieur à la moyenne nationale, ce qui montre qu’il n’y a aucun lien entre l’immigration et le chômage. On ne s’adresse pas spécifiquement aux électeurs du FN. L’enjeu est de priver Le Pen de toute dynamique vers les classes populaires en lui opposant une gauche forte et audible. Cette stratégie a déjà commencé à fonctionner : dans les quartiers populaires de Stains, de Vaulx-en-Velin ou de Grigny (Essonne), où le FN avait fait de très bons scores en 2002, le Front de gauche est arrivé largement devant le FN à la dernière présidentielle. Dans le Pas-de-Calais, nous voulons faire exister une gauche qui relance les conquêtes sociales, en sommeil depuis les grandes heures du mouvement ouvrier. En redonnant de la fierté envers les luttes passées, notre campagne réveille une conscience de classe qui est encore très forte sur le terrain.

Quelles seraient, sur le plan national, les conséquences d’une victoire de Mélenchon face à Le Pen ?

Ce serait un coup de tonnerre bénéfique pour tout le pays. Mais, pour l’instant, ce qui compte autant que le résultat, c’est le processus de la bataille en elle-même. Avant cette campagne, beaucoup de gens de gauche avaient baissé les bras, n’osaient plus militer… Le Front de gauche leur redonne du courage ! Évidemment, l’objectif du Front de gauche est, à terme, de décontaminer la vie politique française du FN, de cette menace permanente qui gèle le débat démocratique avec cette absurdité qu’est le « vote utile ». Nous voulons libérer le débat politique, et il faut le faire de manière éclatante en battant Marine Le Pen. Il n’y a pas de dynamique FN qui ne puisse être enrayée par une gauche décomplexée.