L’extrême doute de la droite

L’UMP reconduit la règle du « ni-ni » alors que, sur le terrain, nombre
de ses membres se réclament de « valeurs communes » avec le FN.

Michel Soudais  • 14 juin 2012 abonné·es

Entre l’UMP et le Front national, les digues sont en train de céder. Dans la 16e circonscription des Bouches-du-Rhône, Roland Chassain, maire des Saintes-Marie-de-la-Mer et candidat UMP arrivé en 3e position (22,6 %), s’est désisté pour la candidate du FN (29 %) afin de battre le socialiste Michel Vauzelle (38,4 %), président de la Région. Un retrait mollement « condamné » par le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé. Faute d’alliés susceptibles de lui fournir une réserve de voix au second tour, l’UMP est de plus en plus tentée d’aller chercher ces électeurs manquants dans le vivier du FN.

« Sans aucun état d’âme », Nadine Morano, en difficulté à Toul, a multiplié depuis dimanche les appels aux électeurs du FN avec qui elle affirme partager « les mêmes valeurs de refus de l’assistanat, du mérite » ou le refus du droit de vote des étrangers afin qu’ils se rassemblent sur sa candidature. Dans la 9e circonscription de Loire-Atlantique, le député sortant UMP, Philippe Boënnec, en ballottage défavorable face au PS, a, lui, appelé la candidate frontiste, qu’il « connaît bien », pour lui demander « d’appeler les électeurs du FN à s’opposer au monopole du PS ».

Brigitte Barèges, députée maire de Montauban, en ballottage difficile, a pour sa part déclaré qu’elle « serait ravie pour Marine Le Pen qu’elle soit élue à l’Assemblée nationale », jugeant qu’ « elle représente un courant permanent maintenant ». Des positions isolées ? Pas tant que ça. « Le FN de Marine Le Pen n’est pas celui de son père », soulignait dimanche soir Gérard Longuet sur i-Télé, ajoutant que « Mitterrand a porté la francisque, pas Marine Le Pen ». Le parti frontiste « est un acteur de la vie politique à part entière. Comme le Front de gauche ou le PS. Il n’y a pas marqué pestiféré », a également déclaré l’ex-ministre de la Défense, lundi, précisant qu’il était partisan de ne pas discuter avec lui « et surtout pas dans l’entre-deux-tours».

Entre ces deux déclarations, le bureau politique de l’UMP a arrêté à l’unanimité une position mi-chèvre mi-chou. Ainsi résumée par son secrétaire général : « Nos candidats se maintiennent partout où ils le peuvent. En cas de duels FN-gauche, on n’appelle pas à voter FN, on n’appelle pas à voter à gauche et encore moins Front de gauche. »

L’UMP reconduit donc la règle du « ni-ni » édictée par Nicolas Sarkozy entre les deux tours des cantonales de mars 2011. À l’époque, celle-ci avait fait tousser les anciens compagnons. Jusqu’à Matignon, où François Fillon avait appelé à « voter contre le Front national ».

Mais en un an, sous l’effet de la radicalisation du discours de Sarkozy, le sentiment des électeurs de l’UMP à l’égard du Front national a nettement évolué : 66 % d’entre eux seraient désormais favorables à un accord de désistement mutuel entre la droite et l’extrême droite quand il s’agit de battre un candidat de gauche au second tour, selon un sondage Ipsos/Logica Business Consulting. En cas de duel au second tour opposant un candidat de gauche à un candidat du FN, 41 % souhaiteraient que le candidat de droite « appelle à voter pour le candidat du FN pour faire barrage au candidat de gauche ».

Non seulement plus aucun** responsable UMP ne défend la nécessité de faire barrage à l’extrême droite, mais ceux qui lui font des appels du pied ne risquent plus l’ostracisme. Mercredi, François Fillon était attendu à Toul pour soutenir Nadine Morano. *« Si l’occasion m’en est donnée, je vote pour que ce parti [le FN] ne représente pas les Français », écrivait Nathalie Kosciusko-Morizet en juin 2011 dans le Front antinational (Éditions du moment). « Je n’ai jamais dit » que j’appelais à voter socialiste, a assuré sur France 2 lundi l’ex-ministre, convertie au « ni-ni ». « Aujourd’hui, c’est le Parti socialiste qui refuse le front républicain en s’associant avec le parti communiste et l’extrême gauche. »

Ces virevoltes amusent beaucoup Marine Le Pen, qui, histoire de maintenir l’UMP sous pression, a appelé lundi ses électeurs à faire battre quatre UMP, dont les ex-ministres Xavier Bertrand, Georges Tron et… Nathalie Kosciusko-Morizet, pour laquelle elle demande spécifiquement aux électeurs de voter socialiste. Jean-François Copé est épargné parce qu’il a, explique-t-elle, soutenu « avec vigueur la consigne “ni-ni” […], moins pire que l’infect [sic] front républicain ». Claude Guéant est, lui, plus que ménagé : « Par l’avancée décomplexée, même si c’est très électoraliste, d’un certain nombre de [ses] idées, il a sûrement contribué à nous rendre service » et « en cela il mérite un petit encouragement ».