Musique : Braka dans tous ses éclats

Le batteur crée en Afrique du Sud, avec des musiciens des townships, un
spectacle qui tournera en France en 2013.

Lorraine Soliman  • 14 juin 2012 abonné·es

« Batteur, compositeur et luthier sauvage », indique son curriculum vitæ. Tout un programme. Et modestement annoncé de surcroît. Simon Fayolle, aka Braka, a bien d’autres tours dans son sac à malices et sa boîte à rythmes. Sa vie d’artiste est un poème, qu’il récite avec l’énergie voluptueuse d’une cigale méditerranéenne et la précision déterminée d’une fourmi avant l’hiver alsacien. Le tout servi avec un doigt de gouaille, celle du titi parisien qu’il n’est pas tout à fait. Batteur, ou plutôt rythmicien, Braka l’est en revanche depuis un âge très tendre : «  Un jour, il y avait un copain de mes parents à la maison qui jouait de la guitare, moi j’avais 2 ans et je tapais le rythme, et quand il changeait de rythme je le suivais.  » L’anecdote est du père, l’une de ses favorites. Elle en dit déjà long du petit Simon, né dans un cocon artistique. Ses sont intermittents du spectacle dans des registres complémentaires (cinéma d’animation, théâtre et danse), et le fiston choisit presque d’emblée la musique. De la flûte à bec en guise de saxophone («  J’étais trop petit, je ne pouvais pas souffler dedans !  »), il évolue rapidement vers la batterie, cet instrument «  sur lequel [il] pouvai[t] jouer tout de suite  ».

On est à Sorgues, périphérie d’Avignon, au début des années 1980. « Le vendredi soir, on allait dans les pizzerias où les copains jazzmen de mes parents avaient des gigs [^2], et moi je me disais : “C’est ça que je veux faire !” Et c’est comme ça que je suis tombé dedans. Giant Steps, c’est ma madeleine de Proust ! » S’ensuit un parcours musique-études classique et jazz, mais aussi électroacoustique, conclu par une jolie moisson de premiers prix en jazz et en musique d’ensemble au Conservatoire national de Région de Marseille.

Il faudrait dix pages pour décrire ne serait-ce qu’un brin les différentes étapes qui ont mené Braka en Afrique du Sud, où il se démène ces jours-ci pour la première partie d’un projet «  mégalomane  » ( sic ) : « BIG TIME ! » ( « écrit en majuscules, avec un point d’exclamation, please » ). Des rave-parties des «   grands frères qui [l]’engageaient pour mettre l’ambiance en acoustique avec [ses] percus » à la création de sa compagnie, Faux Défi défaut fou, en 2009, il y a mille et un passages, dont celui de La Caravane jaune et de son clown musical (un certain Gaston Braka), l’écriture orchestrale pour la troupe de théâtre BVZK, et bien sûr, la Lutherie urbaine de Jean-Louis Mechali, où Braka fait ses armes dans la fabrication d’instruments à partir d’objets récupérés, affine son goût de l’expérimentation « phonore   [^3] », développe son talent de directeur musical et de pédagogue. C’est là qu’il concrétise aussi son rêve de voyages et de rencontres inouïes, à l’occasion des tournées africaines qui le conduisent notamment à Johannesburg et au Cap.

Le spectacle Sharp Sharp ! (2007-2009) [^4] lui ouvre les yeux et les oreilles sur l’Afrique du Sud et sa culture musicale. C’est le début d’une aventure dont BIG TIME ! est la dernière ramification. Autour du quartet Elephants (avec Lucia Recio, voix ; Nicolas Stephan, sax ; Daniel Malavergne, tuba ; augmentés du Sud-Africain Marcus Wyatt en trompettiste invité), le projet réunit onze jeunes musiciens issus des townships du Cap, les Little Giants, sélectionnés et entraînés sur place par le grand pédagogue du jazz George Werner en attendant les tournées sud-africaine (actuellement), puis française (printemps 2013). Au menu, « une musique festive » en forme de suites écrites à la mesure des musiciens impliqués ( «   toujours traités comme des pros » ) : une réappropriation du goema, le rythme fétiche des ménestrels du Cap, un « Tango ! », une reprise très arrangée du « Silence » de Charlie Haden, un hommage ému à Chris McGregor, « un délire pour vuvuzelas réaccordées », une touche de soundpainting  [^5] et un air de brass band halluciné.

Avec BIG TIME !, Braka semble arrivé au paroxysme du fantasme de l’homme-orchestre : « Je fais souvent trois ou quatre métiers par jour : de la com, de la prod, musicien, arrangeur, voire chauffeur ou régisseur ! » La première aura donc lieu le 16 juin au théâtre Artscape du Cap, suivie de nombreux autres concerts, parades de rue et workshops. Quant à l’étape française de BIG TIME !, elle sera notamment à découvrir dans le cadre du festival Banlieues bleues 2013.

[^2]: Des concerts.

[^3]: Du titre d’un spectacle monté en 2001, les Tribulations phonores de Gaston Braka.

[^4]: Voir Politis n° 1150, du 28 avril 2011.

[^5]: Langage de composition en temps réel créé par Walter Thompson dans les années 1980 pour les musiciens, les danseurs, les acteurs, les techniciens des lumières et du son.

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