Quatre mesures d’urgence

Un livre de la Fondation Copernic* recense les mesures qui devraient être le coeur d’une politique de gauche pour la nouvelle législature.

Politis.fr  • 14 juin 2012 abonné·es

Cercle de réflexion critique du libéralisme, la Fondation Copernic a rassemblé des économistes représentant trois partis de gauche (Europe Écologie-Les Verts, Front de gauche, Nouveau Parti anticapitaliste) pour définir un programme résolument en faveur des dépenses publiques, de l’augmentation des salaires, du renforcement des services publics dans le cadre d’une planification sociale et écologique. Intitulé Changer vraiment !, ce programme, dont nous publions quelques extraits, présente une politique de rupture créant des marges de manœuvre économiques et financières indispensables à la mise en œuvre d’une transformation sociale.

1. Sortir du carcan de la dette

Dans une perspective de transformation sociale de grande ampleur, il faut s’attaquer aux causes de la dette proprement néolibérale qui menace de se retourner contre les peuples et de les enfermer dans un piège inextricable en forme de cercle vicieux : récession, dette, austérité, récession, dette… Il faut donc sortir de ce piège. En combinant trois moyens : une réforme fiscale radicale, l’examen de la légitimité de la dette et la maîtrise de la création monétaire.

Les faits sont têtus : l’endettement public s’est accru en France depuis l’entrée en vigueur des politiques néolibérales, et il s’est accéléré avec la crise à partir de 2007 pour atteindre plus de 1 700 milliards d’euros, soit 86 % du PIB. La dette publique est due en grande partie à « la baisse de la fiscalité directe », constate la Fondation Copernic. Celle-ci est « la principale cause structurelle de l’endettement dans une période où les traités européens ont obligé les États à emprunter sur les marchés financiers pour combler leurs déficits annuels ». Ce diagnostic est confirmé par les rapports de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, par la Cour des comptes et l’Insee. Ce dernier a indiqué en 2010 [^2] que, s’il n’y avait pas eu une telle baisse des prélèvements, la dette publique serait d’environ 20 points de PIB plus faible. En dix ans, 400 milliards d’euros de recettes fiscales ont été perdues. Selon la Cour des comptes [^3], « la crise explique au plus 38 % du déficit, qui est surtout de nature structurelle et résulte largement de mesures discrétionnaires ». [^2]: Rapport sur la situation des finances publiques, Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis, 2010. [^3]: Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, Cour des comptes, 2011.
Au vu de la profondeur de la crise, ces trois mesures sont parfaitement légitimes : la première parce qu’elle réduit les inégalités et procure des ressources publiques supplémentaires, la seconde parce qu’elle met fin à un prélèvement stérile au profit des marchés financiers, la troisième parce qu’elle est une des clés des investissements d’avenir. Alors, on verra que l’endettement de la collectivité pour préparer l’avenir ne constitue pas un problème en soi. Il fait partie, au contraire, des solutions pour sortir par le haut de cette crise aux multiples visages parce qu’il permettra la génération de nouvelles richesses qui répondront aux besoins de demain et amortiront le coût des investissements. […]

La nouvelle législature qui s’ouvre doit prendre à bras-le-corps la question de la fiscalité. Son évolution a été en phase avec l’orientation générale imposée par la dictature des marchés financiers : moins d’impôts pour ceux dont les revenus et les patrimoines sont les plus élevés, moins d’impôts sur les bénéfices des grandes sociétés. […] Si l’on tient compte du détournement de la valeur ajoutée (entre 126 et 155 milliards par an), des niches fiscales et sociales (de l’ordre de 220 milliards), de la fraude fiscale et sociale (entre 29 et 40 milliards), et qu’on leur ajoute la baisse des droits de succession et de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF, 3,5 milliards), on mesure l’ampleur considérable du rapt répété année après année.

2. Une politique favorable à l’emploi…

La gauche ne doit aujourd’hui plus hésiter à affronter le capital : elle peut améliorer aussitôt les conditions des travailleurs. Il est possible de rompre immédiatement avec la logique de précarisation qui s’étend dans toute la société. Un gouvernement de gauche devrait immédiatement établir un quota maximum de CDD par entreprise et titulariser l’ensemble des précaires de la fonction publique. Il faudrait abroger la loi du 3 août 2009 qui autorise la fonction publique à embaucher des salariés de droit privé. Peu à peu, il faut refaire du CDI la norme. Les contrats atypiques (les divers CDD, l’intérim…) doivent constituer des exceptions à n’utiliser que dans des moments de surcroît d’activité ou pour remplacer des salariés en congés maladie, maternité, paternité. […]

Pour éviter les licenciements économiques dans des entreprises rencontrant de réelles difficultés, en particulier les PME et TPE, il conviendrait d’imposer par la loi une solidarité des grands groupes capitalistes vers les petites entreprises en créant un mécanisme de cotisations inter-entreprises qui permettrait d’éviter les soutiens fiscaux ou les allégements de cotisations sociales. Une caisse pourrait ainsi être créée sur le modèle de la Sécurité sociale et financée par des cotisations obligatoires pour toutes les entreprises, qu’elles soient des TPE, des PME ou des grands groupes. […]

Vouloir réduire les inégalités, c’est aussi considérer qu’aucune personne ne doit vivre sans un revenu décent, même si elle n’a pas d’emploi. La gauche se doit donc d’instaurer une sécurité sociale professionnelle qui préservera la continuité des droits des salariés en situation d’interruption d’activité du fait de chômage, de maternité ou d’accident du travail. L’ensemble des salariés bénéficieraient ainsi du maintien de leur rémunération, de leur protection sociale et d’une formation professionnelle leur garantissant de retrouver un emploi de niveau équivalent à celui qui était le leur avant la perte de leur activité. Un statut du travail salarié serait ainsi créé, et les droits y étant adossés seraient garantis collectivement et opposables à tout employeur.

3. …et à la réduction du temps de travail

Une politique favorable à l’emploi se doit par ailleurs de poursuivre le mouvement historique vers la réduction du temps de travail. Ce mouvement constitue un axe central de la politique des gouvernements de gauche depuis toujours pour partager davantage le travail et donc diminuer le chômage. Elle est un préalable à l’émancipation des travailleurs autant qu’un moyen pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. […]

La durée hebdomadaire effective des salariés à temps plein était de 39,8 heures en 1997, de 37,7 heures en 2002 ; la réduction a donc été de deux heures en cinq années. Il aura fallu moins de dix années à la droite pour faire la route à l’envers : cette durée est aujourd’hui de 39,4 heures. Il faut que la gauche reprenne le chemin de son histoire. D’abord, aller vers une durée effective de 35 heures ; sur le plus long terme, poursuivre ce mouvement pour aller vers un nouvel objectif, celui de la semaine de quatre jours par exemple, soit 32 heures de travail hebdomadaire. Les gains de productivité obtenus depuis la mise en œuvre des 35 heures le permettent.

Il faut donc, sur ce sujet comme sur les autres, effectuer la grande bifurcation du modèle économique, qui réduira le recours aux temps partiels, aux contrats précaires et diminuera le temps de travail de l’ensemble des salariés en maintenant leur salaire et sans intensifier leur travail, ce qui passe par la création simultanée d’emplois à temps plein.

4. Amorcer un nouveau mode de développement

La mise en œuvre d’une véritable transition écologique est l’enjeu primordial de ce début du XXIe siècle. […] Les transformations des systèmes énergétiques et de transports, de l’urbanisme, ainsi que l’isolation de l’habitat et des bâtiments, nécessitent une planification écologique démocratique et le développement d’un nouveau modèle industriel. Puisque ces transformations se situent à tous les échelons géographiques et politiques, du local au national et du national au mondial, elles doivent s’inscrire dans de nouvelles coopérations internationales qui prennent le pas sur la concurrence, sur l’inégalité des échanges, et trop souvent encore, sur les dominations du Nord sur le Sud. […]

Un nouveau type de développement suppose de produire autrement. Les biens de consommation et les véhicules devraient être conçus selon un triple principe de durabilité, de modularité et de soutenabilité. La durabilité, c’est mettre fin à l’obsolescence programmée. La modularité, c’est économiser les faux frais résultant de l’absence de standardisation et de réparabilité des produits. La soutenabilité, c’est réduire le coût en énergie et en émissions de gaz à effet de serre de la fabrication et de l’usage de ces biens. Elle doit se décliner dans tous les secteurs, industriels et aussi agricoles, tant les modes de production des biens alimentaires et le type de biens fournis peuvent se révéler non seulement néfastes pour l’environnement mais aussi préjudiciables pour l’accès de tous les humains à une alimentation équilibrée.

La recherche devrait être réorientée en fonction de tels objectifs, et c’est d’ailleurs l’un des points où les objectifs écologiques se heurtent frontalement à la logique capitaliste qui fonde une partie de sa rentabilité sur une rotation du capital et sur une obsolescence des produits aussi rapide que possible. Les biens d’équipement et les biens intermédiaires devraient être conçus en fonction de processus de production eux aussi économes en énergie. Le champ de développement de cette « écologie industrielle » est immense, qu’il s’agisse d’efficacité énergétique, de sources d’énergie renouvelables, du traitement et du recyclage des déchets, de la conception de nouveaux matériaux (notamment d’isolation et d’emballage) et de recherche dans chacun de ces domaines.

Publié dans le dossier
L'Extrême doute de la droite
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