Un écolo dans un jeu de quilles

Face au lourd passé colonial de la coopération française, le profil atypique de Pascal Canfin, ex-journaliste de 38 ans proche des organisations de solidarité, exprime un défi.

Thierry Brun  • 21 juin 2012 abonné·es

Installé dans les locaux de l’ancienne Imprimerie nationale, rue de la Convention dans le XVe arrondissement de Paris, Pascal Canfin reçoit dans un décor digne de l’ancien ministère des Colonies : statuettes et masques africains, coffres exotiques et autres babioles pour le musée du quai Branly… Le nouveau ministre délégué n’a pas encore son portrait accroché au mur du ministère de la Coopération, rebaptisé ministère du Développement. Mais il ne fait aucun doute que son profil atypique tranchera avec celui de ses prédécesseurs, dont quelques figures de la Françafrique, ce monde secret qui pendant des décennies échappa à tout contrôle parlementaire.

On se souvient notamment de Jean-Marie Bockel, dont le président gabonais Omar Bongo eut la peau auprès de Nicolas Sarkozy en 2008, parce qu’il avait parlé de « la mort de la Françafrique ». La culture militante du jeune ministre, bientôt 38 ans, n’a rien à voir avec l’univers très spécial de la diplomatie française en Afrique. L’ancien journaliste d’ Alternatives économiques  [^2], auteur de Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire  [^3], a plutôt œuvré aux côtés des ONG de solidarité internationale, notamment le CCFD-Terre solidaire, Oxfam et Sherpa, contre les paradis fiscaux et les biens mal acquis de certains chefs d’État africains. « Il nous connaît bien », reconnaît le dirigeant de l’une d’entre elles. Fraîchement élu eurodéputé, Canfin, face aux lobbies des banques, s’est lancé dans un appel à constituer un « Greenpeace de la finance », dans le dessein d’opposer un « contrepoids aux banques ». Une ONG, Finance Watch, naîtra en juin 2011 de cette initiative portée par 22 députés européens de gauche et de droite, ainsi que par le philosophe Jürgen Habermas.

Militant rompu aux batailles parlementaires, habile négociateur face aux acteurs financiers, le voilà dans l’un des fiefs de la diplomatie française, le ministère du Développement étant sous la tutelle du Quai d’Orsay. Canfin sera attentif, on n’en doute pas, à ce qu’une partie non négligeable de l’aide au développement ne s’égare plus dans les méandres de la corruption. L’Agence française de développement, dont il dirigera le conseil d’orientation, n’a qu’à bien se tenir, car elle accueillera l’ex-collègue de ces députés européens écologistes qui ont obtenu un nouveau règlement au Parlement européen pour justement lutter contre la corruption et les conflits d’intérêt. Comme le disait Thomas Legrand dans l’une de ses chroniques sur France Inter : « Pascal Canfin va-t-il durer ? Ce serait une petite révolution… Une révolution pas spécialement spectaculaire, mais sacrément salutaire ! »

[^2]: Pascal Canfin a également été l’un des auteurs de la chronique économique « À contre-courant », publiée chaque semaine dans Politis.

[^3]: Les Petits matins, 2012.

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Et maintenant, justice sociale !
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