« Injuste avec les classes populaires »

Sébastien Fontenelle  • 19 juillet 2012 abonné·es

Dans son éditorial de cette semaine [^2], Christophe Barbier, directeur de l’hebdomadaire l’Express, explique, très posément, que les « socialistes » qu’on a depuis deux mois au gouvernement de la France sont, d’après lui, rongés, notamment, par un prurit « d’extrême gauche ». (Bien évidemment : il ne produit – et pour cause – aucun élément concret, à l’appui de cette extravagante divagation.) Puis, juste après, Christophe Barbier narre qu’il serait temps que les « socialistes » se libèrent de cette emprise bolchevique – et qu’ils se décident enfin à persécuter pour de bon les miséreux. Bien évidemment : il ne le dit pas si nettement. Il ne hurle pas directement, comme dans une chanson des Dead Kennedys, qu’il faut maintenant tuer les pauvres. (Et promptement, s’il vous plaît, ou sinon il va encore falloir qu’on leur jette quelques miettes du gros gâteau.)

Car il est prudent. (Ou cauteleux : c’est comme tu voudras.) Il écrit plutôt que « si la gauche   [^3] veut redresser le pays, il lui faut être injuste ». Plus précisément, elle doit, stipule-t-il, se montrer : « Injuste avec les classes moyennes surfiscalisées. Injuste avec les classes populaires moins consolées, injuste avec ceux qui ont un emploi et travaillent plus pour gagner moins, injuste avec des chômeurs moins indemnisés, des malades moins remboursés, des vieillards moins accompagnés, et, surtout, des jeunes moins aidés. »

En somme, t’auras compris : les « socialistes » doivent être injustes avec tout le monde – sauf avec les riches. Il urge, leur annonce Christophe Barbier, que vous soyez durs avec les faibles (chômeurs, malades, vieux…), mais accommodant(e) s – et caressants(e)s, et complaisant(e) s – avec les possédant(e)s. (N’avez qu’à prendre modèle sur nous, qu’on est éditocrates : c’est comme ça qu’on fait depuis des années – et convenez que ça ne nous a pas trop mal réussi ?)

Chez Christophe Barbier, le secours aux nanti(e)s est, certes, une addiction ancienne – puisqu’en 2005, déjà, il criait, sur France 5 : « L’impôt des plus riches – qui ne sont pas si riches que ça – doit baisser, parce qu’il y a trop d’impôts dans ce pays, la preuve, certains de ces riches s’expatrient pour aller dans des pays où on leur prend moins d’argent. » (Et puisqu’il s’est de très longue date spécialisé dans la fustigation des privilégié(e)s de la fonction publique – et autres profiteurs désireux de « travailler moins et gagner plus ». )

Mais jamais encore – qu’on sache – il n’était allé aussi loin, dans l’énoncé décomplexé de la nécessité de persécuter le salariat. Manifestement, l’élection de François Hollande a fini de le désinhiber. Fort de son impunité de forgeron de l’opinion, il donne publiquement libre cours à son mépris de classe : il l’exhibe devant tout le monde, et c’est juste obscène.

[^2]: L’Express , 11 juillet 2012.

[^3]: Dans l’esprit de Christophe Barbier, comme dans ceux de ses pair(e)s de l’éditocratie, qui sont tou(te)s fabriqué(e)s dans le même moule à gaufres, les « socialistes », on l’aura compris, sont « la gauche ».

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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