Littérature : Le poids des « Plumes »

Le Syrien Salim Barakat poursuit son exploration poétique de l’histoire kurde.

Anaïs Heluin  • 12 juillet 2012 abonné·es

Envoyé à Chypre par son père afin d’y rencontrer un très énigmatique « Grand Homme », le jeune Syrien Mem, narrateur de la première partie des Plumes, de Salim Barakat, déploie une pensée à mi-chemin entre ciel et terre, entre mystique et réflexion plus ou moins délirante sur l’histoire kurde. L’original peut très bien entrer en conflit avec les oiseaux huppés puis les délaisser et entreprendre un récit détaillé de l’aventure du mollah Selim Al-Bedlisi, artisan d’une révolution avortée.

Esprit libre ou détraqué ? Fondements d’une poétique de la dispersion ou empreinte d’une perte de repères langagiers ? Rien ne nous permet de trancher. L’hésitation règne, se cogne aux nombreux angles de la narration sans direction apparente. Pourtant, d’anecdote en anecdote, une épopée du peuple kurde se dessine. Sur le mode pointilliste, le plus adapté à son objet ballotté de-ci de-là pendant des siècles, à une nation sans territoire autre que sa langue et sa culture. Le quotidien mâtiné de réalisme magique apparaît alors comme une échappatoire ou comme une stratégie de résistance aux malheurs qui s’abattent sur les Kurdes depuis l’Antiquité. Face à l’incessante menace d’être privés de ce qui les constitue, Mem et les siens s’inventent un monde fait de codes que l’on devine sans les identifier précisément. Pas même lorsque, dans la seconde partie du roman, Mem est dépossédé du pouvoir narratif au profit d’une instance à la troisième personne.

Dino, le jumeau de Mem, son père, Hamdi Azad, et le reste de la famille dépeints par cette voix apportent toutefois un éclairage nouveau à la situation absurde de Mem, tenté par le suicide après six ans d’attente d’un « Grand Homme » dont il ne sait rien. Mieux, ils lui opposent une vérité – ou une rêverie – tout à fait différente. Si bien qu’ils finissent d’insécuriser le récit, de faire de la mouvance le seul principe directeur des Plumes. Et de la littérature une forme de vie qui cohabite avec les hommes. Des références textuelles ponctuent en effet les aventures historiques et familiales jusqu’à se confondre avec elles. Mem porte le nom du héros d’une légende populaire écrite au XVIIe siècle, qui, en plus d’être une geste amoureuse, est l’un des premiers appels à l’unité kurde. Sans doute le protagoniste inventé par Salim Barakat est-il fait du bois rebelle de son homonyme. Tout comme, derrière l’éclatement de son œuvre, l’auteur des Plumes dit lui aussi la nécessité d’une union, d’une transmission de l’histoire du patrimoine littéraire kurde.

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