Lussas 2012, village critique

Les États généraux du documentaire ont invité cinq critiques, dont Christophe Kantcheff, à réfléchir pendant deux jours, les 20 et 21 août, sur la « nécessité » de leur activité. Témoignage.

Christophe Kantcheff  • 24 août 2012
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Lussas 2012, village critique
© www.lussasdoc.org/etats-generaux,2012.html Photo : Michael Ackerman / Galerie VU'

Les occasions d’interroger sérieusement le geste critique sont suffisamment rares pour ne pas saluer le séminaire qui s’est tenu aux États généraux du documentaire de Lussas (Ardèche), les 20 et 21 août. Son titre : « Nécessité de la critique ? ». J’en parlerai à la première personne, car ces lignes ne sont pas à proprement parler un compte-rendu journalistique de ce qui s’y est passé, mais un (bref) témoignage. Car j’ai eu la chance d’en être l’un des invités, en compagnie de quatre autres critiques : Emmanuel Burdeau [^2], Jean-Louis Comolli [^3], Antoine Guillot[^4], et Cédric Mal[^5]. 

Les organisateurs de ce séminaire, dont le directeur artistique du festival, Christophe Postic, nous avaient proposé un cadre large de réflexion. Les questions initiales se présentaient comme telles : « Quelle nécessité s’affirme aujourd’hui pour la critique de cinéma ? Et qu’est-ce qu’écrire une critique de film ? De quels héritages, de quels outils disposent les critiques en exercice aujourd’hui, qu’ils interviennent à propos du cinéma dit “documentaire” ou de celui dit “de fiction” ? »  

La forme de prise de parole était originale : sur deux jours, c’est-à-dire sur un temps inhabituellement long, nous nous sommes succédé à la tribune pour une intervention qui, le cas échéant, était nourrie par des extraits de films illustrant, approfondissant ou décalant le propos tenu. Les quatre autres critiques réagissaient à l’intervention qui venait d’avoir lieu, en même temps que le public. 

Résultat : les critiques, qui ont ordinairement la mauvaise réputation d’être suffisants, se sont ici non seulement écoutés, mais ont trouvé dans la parole des autres de quoi alimenter, voire prolonger leur réflexion. Antoine Guillot a décrit les formes singulières de la critique radiophonique et ce que personnellement il en fait ; Jean-Louis Comolli a dénoncé la multiplication des écrans et la disparition du hors champ ; Emmanuel Burdeau, avec la pensée de Serge Daney, s’est interrogé sur les attitudes possibles dans l’espace critique actuel ; Cédric Mal a parlé de l’activité du Blog documentaire qu’il a créé ; j’ai quant à moi souligné les contraintes qui pèsent sur la critique journalistique et l’enjeu politique qu’il y a à la défendre.

Des échos, des correspondances 

Les modalités de ces débats, animés par Gérald Collas, ont permis à ce que des échos résonnent, à ce que surgissent des correspondances. En particulier, il est apparu clairement que la critique représente pour nous une manière de prolonger les films et, à travers eux, de nous renseigner sur l’histoire que nous vivons. Une conception qui rejette la critique prescriptrice, où les films sont considérés comme des objets séparés, produits pour être consommés. 

L’idée que notre approche critique était présidée par une nécessaire modestie a été également développée par la plupart d’entre nous. À la différence d’époques anciennes, où la théorie triomphait, où l’idéologie qui accompagnait les œuvres ne se dissimulait pas (elle n’est pas moins forte aujourd’hui mais elle est plus sournoise) et où la critique était davantage sûre d’elle-même, notre geste ne peut plus se situer dans une position de surplomb par rapport à ceux à qui il s’adresse, lecteurs de journaux, auditeurs de radio, spectateurs de cinéma. Les incertitudes du contemporain nous amènent à formuler non des vérités mais des « propositions » de lecture  (terme repris au moins par Emmanuel Burdeau, Antoine Guillot et moi-même). Ces propositions critiques constituent un réseau informel autour des œuvres, une sorte d’espace public né du débat critique, destiné à résister à tous les arguments d’autorité. Cette « nécessaire modestie » s’accompagne donc d’une grande ambition : la critique ainsi conçue a vocation à émanciper les films et leurs spectateurs, qui sont aussi des citoyens. 

Des interlocuteurs

Conséquence de ce qui précède : s’est aussi dégagée de ces débats la nécessité d’avoir affaire, dans la critique, à de véritables interlocuteurs (davantage, peut-être, qu’à des « passeurs »). Que ce soit devant un micro, dans un article, ou dans un débat après la projection d’un film, c’est une présence qui est attendue (et non un narcissisme). C’est-à-dire un homme ou une femme qui s’engage dans sa parole. La rencontre avec celui ou celle qui l’écoute ou le lit ne pouvant avoir lieu que si, de son côté, il ou elle se confronte réellement à cette parole. 

D’autres multiples points ont été abordés : notamment, les « nouvelles » formes de la critique ou les modes contemporains de la cinéphilie (terme problématique s’il en est). De là où nous étions, il nous a semblé que le public, qui a eu le « courage » de nous accompagner pendant ces deux jours intenses, y a trouvé son compte. C’est un auditeur présent qui a d’ailleurs joliment conclu les débats, soulignant qu’une communauté s’était constituée le temps de ce séminaire.  

[^2]: Directeur littéraire des éditions Capricci, programmateur du Festival international du film de la Roche-sur-Yon et critique pour Mediapart et So Film

[^3]: Cinéaste, critique, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma dans les années 1970, écrit dans Trafic , Images documentaires et sur le blog « cesfimlsapart »

[^4]: Journaliste et critique de cinéma et de bande dessinée, producteur délégué de la Dispute et producteur de la revue de presse culturelle sur France Culture

[^5]: Directeur de la publication du Blog documentaire, membre du comité de rédaction de la revue Images Documentaires.

Cinéma
Temps de lecture : 5 minutes
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