Transsexualisme : témoignage d’une prison de chair
Marie a obtenu en 2007 le droit à changer de sexe, au bout de trente ans de calvaire. À 53 ans, elle publie une autobiographie piquante dans laquelle elle interroge sans ménagement l’action des associations de « trans ». Rencontre.
C’est le combat d’une vie, contre un corps qui la faisait prisonnière. Marie Édith Cypris, née Marc en 1959, a traversé trente ans de galère. Elle a connu les questionnements de l’adolescence, desquels est né « un besoin vital » et la douloureuse certitude qu’elle devait changer son corps. Adulte, elle cherche son accomplissement dans les boîtes de nuit, sombre dans le désespoir, connaît la prostitution, avant de refaire surface avec un nouveau métier d’aide-soignante. En 1997, au bout d’une éprouvante dernière ligne droite de 7 ans, elle obtient le droit d’être opérée pour changer de sexe, auprès d’un des 4 collèges doctoraux habilités en France.
À 53 ans, elle livre une autobiographie piquante, qui traverse sans mélodrame l’univers épineux de la transsexualité. Un texte longuement mûri, tantôt tragique, tantôt ironique, plongeant dans la profondeur de son « mâle être » intérieur. Elle voulait témoigner pour que ses « erreurs » et ses « égarements » servent à d’autres. Pour faire entendre, aussi, la voix des transsexuelles silencieuses, qui vivent leur calvaire « en solitaire ». Loin des associations de «trans», qu’elle critique sans ménagement.
Comment en êtes-vous arrivée à faire « l’autodiagnostic » de votre transsexualité ?
C’est quelque chose qui mûrit doucement. Vers 12 ans, j’ai compris que je n’étais pas comme les autres petits garçons. J’enviais les filles pour ce qu’elles étaient, pas parce que je les désirais sexuellement. Je vivais seul avec ma mère, sans présence masculine à laquelle m’identifier. Petit à petit, j’ai pris conscience qu’il y avait un malaise avec mon genre. À l’âge de 18 ans, j’ai eu véritablement la certitude de vouloir changer mon corps pour devenir de l’autre sexe. J’ignorais encore totalement où trouver les moyens de m’accomplir, mais j’avais une injonction excessivement puissante, qui sévissait profondément en moi, sans que je ne l’aie désirée. C’est un besoin vital et une immense douleur de ne pas avoir ce corps de femme.
Dans les années 1970, nous n’avions aucune information. C’était surtout les prostituées qui connaissaient cette problématique. Il fallait aller dans les lieux qu’elles fréquentaient.
Vous vous êtes d’abord travestie. Pourquoi n’était-ce pas une solution ?
J’ai très vite ressenti les limites du procédé. Ce n’était pas ma vocation. Mon besoin était anatomique. Pas vestimentaire. Je devais supprimer mon sexe génital, avoir des formes féminines. Vous pensez votre corps dans l’autre sexe et vous voulez acquérir ce corps.
Durant toutes ces années, votre corps était une source de souffrance…
Il y a des périodes très ingrates pendant la transformation, où vous ne savez pas vraiment ce que vous êtes. C’est une métamorphose qui n’est pas du tout évidente. Car il est impératif que ce soit crédible, que les gens vous reconnaissent immédiatement comme une femme, malgré une voix grave par exemple.
Il y a les dépressions, l’abattement, les découragements. Tout ça peut amener à des situations assez dramatiques. J’étais engloutie dans une misère psychique et un désespoir épouvantable, avec des problèmes psychosociaux, mais la vie m’a offerte des occasions de repartir, grâce à des rencontres qui m’ont remise sur les rails.
Depuis février 2010, le transsexualisme n’est plus considéré comme une maladie mentale en France. Qu’est-ce que cela a changé ?
Pour le moment pas grand-chose. Nous sommes encore dans une phase d’errements. Sortir le transsexualisme des maladies mentales est une bonne chose. Pour autant, qui va remplacer le psychiatre pour évaluer la personne qui a besoin de ces changements ? Sûrement pas un biologiste, puis-ce qu’il n’y a pas de cause organique et que rien ne différencie biologiquement les transsexuels des autres hommes. Nous n’avons que la douleur et la souffrance psychique pour appréhender la question des opérations de changement de sexe.
Il y a un lobbying très fort des associations, notamment animées par les « transgenres » (qui refusent l’assignation sexuelle «binaire»), pour que la notion de « droit de l’homme » puisse intercéder dans les démarches du changement d’État civil et même de la prise en charge de l’opération de changement de sexe ainsi que toutes les chirurgies périphériques. Cela ouvre à mon sens sur un vrai risque de dérives. Quiconque pourrait sur un coup de tête se faire opérer, avec des changements anatomiques irréversibles, sans que l’on mesure sa souffrance psychique.
Vous dites n’éprouver « aucune rancœur » malgré la longueur de votre attente. Vous êtes en revanche plutôt sévère avec les associations de transsexuels, que vous jugez « démagogique » . Pourquoi ?
Beaucoup de personnes de ces associations n’ont pas fait le protocole d’accès à l’opération de changement de sexe qu’elles critiquent. Elles parlent d’aliénation mentale. C’est faux. Je n’ai jamais été maltraitée par le psychiatre. Il m’a accompagnée à la vitesse ou j’avançais. On m’a refusé une première fois le changement de sexe, je l’ai accepté, car je n’étais certainement pas prête pour cette transformation qui doit s’effectuer dans une certaine harmonie.
Je leur reproche aussi de ne pas montrer de témoignage dans mon genre, parce qu’elles sont préoccupées par leurs revendications militantes : la progression du droit et de la prise en charge, l’accès aux soins et au changement d’État civil, etc. Mais elles ne rendent pas compte de la vie d’une majorité silencieuse des transsexuelles qui font leur parcours en solitaire et qui, une fois la transition faite, disparaissent dans le corps social puisqu’elles sont intégrées en tant que femmes. On est transsexuel pour changer de sexe, ce n’est qu’une étape. Je ne veux pas en faire un étendard. Je veux qu’on me voie comme une femme.
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