À contre-courant / De sommets en traités, l’Europe à la dérive

À force de règles intenables, la possibilité d’une fondation européenne s’éloigne.

Geneviève Azam  • 6 septembre 2012 abonné·es

Le nouveau traité européen, que François Hollande avait promis de renégocier, sera présenté quasiment en l’état à l’Assemblée nationale fin septembre. Alors que la démocratie représentative est en crise profonde, un tel abandon d’engagements récents hypothèque la crédibilité sur les intentions. Or, ce ne sont pas les marchés qui nous sortiront de la crise, mais la capacité des sociétés européennes à se mobiliser, à débattre démocratiquement pour dessiner un avenir commun et désirable.

Ce traité inscrit dans un texte, censé construire l’Europe, des règles budgétaires très strictes qui, dans le contexte actuel, signifient une austérité immédiate et, pour plus tard, l’austérité infinie. Il durcit le pacte de stabilité puisque le déficit structurel des États devrait être inférieur à 0,5 % de leur PIB au lieu des 3 % prévus et alors que ce pacte ne peut déjà être respecté. À moins de croire que la crise dépend des rodomontades de quelques dirigeants, qui par ailleurs laissent aux marchés financiers l’essentiel du gouvernement économique, ce traité ne sera pas appliqué et les règles ne seront pas tenues. C’est pourquoi il est important de le refuser : à force de délégitimer toute possibilité réelle d’avancer vers des règles communes européennes, qui font sens et qui sont respectées, la possibilité d’une fondation européenne s’éloigne.

Par ailleurs, ne savons-nous pas qu’une des erreurs de la construction européenne a été de prioriser l’unification économique et monétaire ? Les règles budgétaires n’ont rien à faire dans un traité européen, pas plus que dans les constitutions nationales. Le budget est – ou devrait être – le moment d’un débat public et citoyen sur les grands choix de société. La réunification allemande, qui est passée par des déficits budgétaires importants, n’aurait pas pu avoir lieu avec une telle règle, ou aurait déclenché automatiquement des pénalités insupportables ! Ce traité est une manifestation exemplaire des courants de pensée qui, de l’ordolibéralisme au néolibéralisme, concourent à s’affranchir de toute vision politique collective.

Il serait acceptable, nous dit-on, car il est complété par le pacte de croissance. Mais n’est-ce pas une circonstance aggravante ? Que signifie en effet un pacte de croissance sans croissance ? De surcroît, dans les dettes qui constituent le déficit public des États, nous avons à faire le tri car il y a des endettements illégitimes [^2]. Outre ceux qui, sans aucune contrepartie, assurent le sauvetage des banques, ceux qui résultent de l’absence d’une banque centrale européenne capable de libérer les États de l’emprise des marchés financiers, outre ceux qui sont issus des cadeaux fiscaux et de l’évasion fiscale, il y a aussi ceux qui, au nom du « redressement productif » et de la croissance, entendent satisfaire des lobbies industriels et financiers, et soutiennent des filières et des grands projets, promis à devenir des cimetières industriels et des catastrophes écologiques et sociales. Et il y a aussi un endettement légitime, celui qui serait consacré au basculement d’un modèle qui s’effondre à un autre fondé sur des sociétés sobres et justes.

[^2]: C’est le sens des Comités pour un audit de la dette et du projet, en discussion, d’un tribunal européen de la dette et de l’austérité.

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