Théâtre : Atelier de bricolage

Novarina reconsidère sa première pièce, quarante ans après.

Gilles Costaz  • 20 septembre 2012 abonné·es

En cette rentrée théâtrale se déroule un étrange événement : un auteur-metteur en scène – l’un de nos plus grands auteurs – monte lui-même sa première pièce. Un texte écrit entre 1968 et 1970, quand il venait de franchir le cap des 30 ans. Depuis, son écriture a considérablement évolué, et l’œuvre initiale peut être perçue comme une étape dépassée, brouillon génial mais aveugle ! Cet écrivain, Valère Novarina, justifie l’idée de réveiller son Atelier volant fondateur et originel par le fait que toute sa troupe, alors qu’elle jouait son dernier texte, s’est emballée pour le premier dans le secret des coulisses. Décision fut prise de vite recréer cette sorte de chahut politique, et de nombreux théâtres s’y associèrent puisque le spectacle du Rond-Point tournera en France et en Suisse jusqu’au 5 avril.

L’Atelier volant n’avait jamais été monté par son auteur. C’est son ancien professeur à l’Institut d’études théâtrales, Jean-Pierre Sarrazac, qui avait eu l’audace, en 1974, de faire connaître ce poète inconnu. Ensuite, d’autres personnes, comme Alain Timar, avaient fait de ce texte stupéfiant et tâtonnant des mises en scène ayant pour parti pris sévère de tenter d’endiguer ces flots qui ne semblent pas tous venir de la même « mer » nourricière. Nous sommes alors dans les années 1960 et 1970. L’inspiration politique, engagée, dénonciatrice, domine. Sus au capitalisme par le slogan et la poésie ! Valère Novarina arrive en débutant sur ce terrain qui n’est pas le sien. Il est déjà un maître, mais il produit du Brecht corrigé par Jarry. L’atelier où éclate l’action est une société fabriquant diverses choses, notamment des chapeaux. Mais on bricole surtout des mots. À la tête de la boîte, très pyramidale, s’agitent trois personnages qui traitent sans ménagement les employés : le prestidigitateur Boucot, son épouse Madame Bouche et un docteur qui administre de « l’accélérateur de particules ». Avec de tels patrons bouffons, les affaires périclitent, et la révolte des petits s’organise. Mais cette fuite des patrons en directeurs de cirque est-elle un rêve ou un épisode à prendre au sérieux ? Dans le charivari, on se perd parce que Novarina se trouve : il oublie sa trame et remplace l’anti-meeting politique par l’anti-comédie psychiatrique. Il naît devant nous, des fusées éclairent des ténèbres, mais il détruit tout ce qu’il construit.

L’équipe d’acteurs, Olivier Martin-Salvan, Dominique Parent, Nicolas Struve, Myrto Procopoiou, le musicien Christian Paccoud dans ses compositions et le scénographe Novarina (car il veille aussi sur l’espace et les couleurs) déploient une fulgurante santé. Toutefois, pour apprécier pleinement ces dialogues parfois datés, il faut être spécialiste, glossateur, chercheur, historien. Il manque l’échelle métaphysique sans laquelle le personnage novarinien n’est plus qu’un cadre moyen – une classe totalement étrangère à l’auteur ! Les pièces suivantes seront d’extraordinaires défis à Dieu, des cris proférés qui ont la force de l’art pariétal interrogeant à coups de pierres brisées le mystère du monde. Tout un cortège de cérémonies brutes et foraines où la théologie gémit sous des vocables adverses sans être terrassée. Même habillé en gauchiste, le jeune Novarina ne trouvait pas encore les silex qui foutent le feu.

Théâtre
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