La jungle des villes

Un feuilleton théâtral virtuose qui interroge l’univers urbain.

Anaïs Heluin  • 4 octobre 2012 abonné·es

Qui dit feuilleton théâtral dit suspense, addiction. Et nécessité d’inventer un pendant scénique aux séries télévisées qui tiennent en haleine les foules pendant des mois. C’est ce défi qui a poussé le metteur en scène Mathieu Bauer à adopter cette toute jeune forme théâtrale dans Une faille, dont il met en scène la première des trois saisons. Les quatre épisodes d’ouverture joués en ce moment sont tout aussi prometteurs que les récentes expériences théâtrales inspirées par la vogue des séries télévisées.

Depuis l’an dernier, l’auteur dramatique Yann Rezeau propose avec Chute d’une nation une série en quatre épisodes autour d’une élection présidentielle fictive. Et en septembre de cette année, le metteur en scène Nicolas Kerszenbaum présentait pour la première fois Soda, une saga théâtrale en huit épisodes, peinture grotesque de la société où les femmes pauvres vendent leurs enfants aux plus riches pour leur donner une chance. Des pièces ancrées dans l’ici et maintenant, qui réfléchissent sur ce que l’habitude recouvre d’une épaisse patine. Tout comme Une faille, déclinaison des plus intelligentes et savoureuses de cette tendance, exploration de la ville à travers une catastrophe. L’effondrement d’un immeuble de Montreuil sur une maison de retraite, précisément, qui retient plusieurs personnes prisonnières des décombres : un médecin frustré, une policière zélée, un dealer bouffon, un vieux critique de cinéma nostalgique du passé et son fils. Subtilement campés par Sophie Maurer, sociologue et auteure de la pièce, ces prisonniers du béton sont serrés sur un mini-plateau mobile comme des rescapés sur un radeau.

Grâce à leur jeu tout en contrastes, tantôt hystérique tantôt d’une tranquillité d’avant l’orage, les comédiens incarnent les méandres de la ville, le glauque qui s’y déploie en même temps que les « merveilles » de la modernité. Les dialogues entre voisins qui en temps normal n’auraient pas échangé un mot sont toujours assez brefs. Pas de temps mort, chaque scène doit apporter un éclairage sur l’urbanité. Comme dans toute bonne série télé, les niveaux de narration sont multiples dans Une faille. Les scènes souterraines sont interrompues par les démarches d’un quelconque secrétaire du maire, elles-mêmes perturbées par l’intervention du chœur citoyen formé par Sylvain Cartigny avec une vingtaine de Montreuillois. Accompagné de projections et de techniques numériques, le tout offre une vision très pertinente du vivre-ensemble, qui opère et crée l’attente de la suite.

Théâtre
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