Un candidat de gauche avec des idées de droite

Le discours social de Capriles cache mal des propositions libérales. Une stratégie indispensable pour gagner les élections.

Jean-Baptiste Mouttet  • 4 octobre 2012 abonné·es

L’opposition vénézuélienne joue son va-tout. Voilà treize ans qu’elle a été écartée du pouvoir par l’élection d’Hugo Chávez, treize ans qu’elle enchaîne les défaites (12 élections sur 13 depuis 1998), treize ans qu’elle se cherche. Une nouvelle déroute le 7 octobre serait vécue comme un coup fatal. Elle marche unie derrière Henrique Capriles Radonski, gouverneur du puissant État de Miranda, sous le slogan : « Il y a un chemin. »

Ce candidat qui se dit de « centre-gauche  » a remporté les premières primaires ouvertes à l’ensemble des Vénézuéliens, organisées par une coalition hétéroclite, la Table de l’unité démocratique (MUD), allant des déçus du chavisme à la droite. Il a obtenu 62 % des suffrages dès le premier tour, le 12 février. Près de 3 millions de Vénézuéliens s’étaient déplacés sur les 18 millions que compte le collège électoral. Ils croient en un nouvel élan, qui confirmerait les bons résultats de l’opposition lors des législatives de septembre 2010. Au coude à coude avec le Parti socialiste uni (PSUV), la MUD obtenait alors 5,32 millions de voix, contre 5,42 pour le parti au pouvoir… Néanmoins, à cause d’un dispositif électoral complexe, elle restait largement minoritaire à l’Assemblée (65 députés contre 98). Cette lancée, toutefois, a vite été interrompue. La plupart des sondages donnent Hugo Chávez gagnant. Dans le quartier aisé d’Altamira, à Caracas, l’opposition est chez elle. Derrière ses lunettes Dolce & Gabbana, Nelly Santa, 65 ans, ne décolère pas : « Ici, nous allons vers le modèle cubain », et en parlant d’Henrique Capriles : « Il est jeune. Il pourra changer les choses. » De fait, pour l’historienne Margarita Lopez, la jeunesse du candidat joue en sa faveur. À 40 ans, « il représente une nouvelle génération de politiciens ». Toujours très actif, il enchaîne les poignées de main et les prises de parole au pas de course. Une manière de rappeler que « le lanceur [joueur au baseball, NDLR] fatigué », comme il surnomme Hugo Chávez, 58 ans, est atteint d’un cancer.

Sa jeunesse affranchirait aussi Capriles de l’héritage de la IVe République. Ce système politique en place avant l’accession au pouvoir de Chávez était gangrené par la corruption, et, à la fin des années 1980, entaché de prises de position libérales. En 1989, des révoltes explosent contre la flambée des prix après l’adoption de mesures économiques dictées par le FMI. La répression par l’État, alors dirigé par Carlos Andrés Pérez, d’Action démocratique (social-démocrate), fera entre 300 morts, selon le gouvernement, et 3 000, selon d’autres sources. En 1998, Henrique Capriles se faisait élire député sous les couleurs d’un des trois partis piliers de la IVe République : le parti conservateur Copei (démocrate-chrétien). Hugo Chávez n’a de cesse de souligner cette contradiction et de menacer « d’un retour en arrière avec un fonctionnement de pays de droite  [^2]» . Le jeune gouverneur s’en défend et nous assure que « la IVe République ne fait pas partie de [son] héritage ». C’est pour s’en émanciper qu’il aurait fondé le parti D’abord la justice, de centre-droit, en 2000. Un jeu d’équilibriste, car Copei et Action démocratique font aussi partie de la MUD et soutiennent Henrique Capriles.

L’opposition joue sur plusieurs tableaux. Elle insiste sur l’insécurité, et le candidat avance un plan « sécurité pour tous ». Tout en pointant l’échec de la politique d’Hugo Chávez dans ce domaine, il propose de mettre en place une politique de prévention (notamment par la promotion du sport), de désarmer les Vénézuéliens (un serpent de mer) ou de mieux payer les policiers… L’autre tableau est social. Il s’agit de gagner les classes populaires en grande partie acquises au Comandante. Henrique Capriles veut gagner ceux qu’il nomme les «  chaca-chaca  », les « chavistes avec Capriles  ». Plus question de faire table rase de la politique socialiste. Les Missions seront « améliorées » et « institutionnalisées » : « Les Missions sont au peuple. Elles ne doivent pas être politisées. C’est pour cela que nous proposons la loi des Missions », a-t-il dit lors d’un discours devant les gouverneurs et les maires le soutenant, le 17 septembre. Dans un pays où personne ne se revendique de droite et où ce qualificatif agit comme un repoussoir, le programme de gouvernement de la MUD demeure soigneusement dans l’incantation et manque de concret malgré ses 1 237 articles. Pourtant, ses objectifs libéraux existent bel et bien : l’entrepreneuriat sera facilité et le système de retraite reposera sur la capitalisation privée. L’article 15 est explicite : « Nous travaillerons pour assurer les droits à la propriété privée et à la liberté économique, et pour développer les initiatives privées. » Cette libéralisation de l’économie ne fait aucun doute pour les personnes qui voteront Henrique Capriles. Proche d’un stand dédié au candidat, Carmen Rosa Chapeto, 52 ans, le souhaite : « Trop d’entreprises privées ont fermé. Le Venezuela doit ouvrir son économie sur l’extérieur et participer, lui aussi, à la mondialisation de l’économie. » Si jamais Capriles remporte les élections, les «  chaca-chaca  » risquent d’être déçus.

[^2]: Discours prononcé le 12 septembre lors de « la rencontre des femmes avec Chávez » à Caracas.

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