Economie sociale et solidaire : un mois et de gros enjeux

L’économie sociale et solidaire organise pendant le mois de novembre une série d’événements sur fond de changement politique. Jean-Louis Cabrespines, président du conseil national des chambres régionales de ce secteur*, en précise les enjeux.

Thierry Brun  • 8 novembre 2012
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Economie sociale et solidaire : un mois et de gros enjeux
© * Les chambres régionales d’économie sociale et solidaire et leur conseil national sont les organisateurs de la cinquième édition nationale du Mois de l’économie sociale et solidaire. Plus de 1 500 manifestations sont prévues. Consulter le site Internet [www.lemois-ess.org](http://www.lemois-ess.org/)

Cette année le mois de l’économie sociale et solidaire est organisé dans un contexte de changement de politique pour ce secteur (voir encadré). Le gouvernement se donne-t-il les moyens de ses ambitions ?

Jean-Louis Cabrespines : Oui, cela a changé et l’on s’en rend compte au quotidien. Nous étions très demandeur d’avoir un secrétariat d’Etat ou un ministère qui puisse concerner les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans la mesure où le poids économique des entreprises de ce secteur est relativement important. Nous avons désormais un ministre délégué à l’ESS, rattaché au ministère de l’Economie, ce qui était aussi une demande de notre part. Dans le passé, l’ESS était généralement rattachée au ministère des Affaires sociales, à la délégation générale à la cohésion sociale, c’est-à-dire plutôt orienté vers l’aide et la lutte contre les exclusions, qui sont des activités essentielles, mais pas les seules. De plus, par rapport au précédent gouvernement, il y a une volonté plus affirmée d’un projet de loi cadre sur l’ESS qui couvre plus de champs et permette de répondre à un certain nombre des difficultés rencontrées dans la prise en compte des politiques publiques.

Le secteur de l’économie sociale et solidaire fonctionne selon un ensemble de valeurs qui devraient être au cœur du débat politique sur la résolution de la crise économique. Les organisateurs du Mois de l’économie sociale et solidaire indiquent que les dirigeants sont élus et que leurs instances de décision sont collectives selon le principe : « Une personne, une voix ». La gestion est autonome, la personne et l’objet social priment sur le capital et la recherche du profit. Cela se traduit par la fourniture de services innovants et équitables, relevant ou non du secteur marchand. Les bénéfices sont prioritairement destinés au développement de l’activité, car il n’y a pas d’actionnaire à rémunérer. Ces valeurs sont communes au quatre grandes familles de l’économie sociale et solidaire : associations, coopératives, mutuelles, fondations.

-Consulter aussi le site du Mouvement pour l’économie solidaire.

Est-il nécessaire de redéfinir le périmètre de l’économie sociale et solidaire ?

C’est une question importante. Jusqu’à présent, l’ESS était définie par les statuts des entreprises. Mais, depuis quelques années, au plan européen, il y a une approche anglo-saxonne, que l’on nomme le social business . D’autre part, certaines entreprises qui se réclament de l’ESS n’en ont pas les statuts, en particulier dans l’insertion par l’activité économique. Il faut donc redéfinir ce périmètre, mais avec prudence. Il ne faut pas que sa redéfinition permette de faire du social washing , du green washing ou du social business , mais bien que l’on conserve les principes et les valeurs de l’économie sociale et solidaire, notamment la gouvernance démocratique et la non lucrativité, qui en font sa force.

Peut-on dire que ces valeurs de l’ESS pourraient être des éléments de résolution de la crise économique ?

C’est un facteur de relance de l’économie et c’est une autre manière de l’aborder. Nous sommes dans une autre logique que celle qui consiste à utiliser la lucrativité des entreprises pour enrichir quelques personnes, des actionnaires ou des patrons. Nous disons que la prise en considération de tous les acteurs (sociétaires, adhérents, coopérateurs, salariés, …) est importante et un axe central du développement des entreprises de l’ESS. Les bénéfices de l’entreprise permettent à celle-ci de se développer. Les entreprises de l’ESS, excepté certains du secteur associatif, ont ainsi mieux supporté la crise parce que leur mode de gestion permet d’avoir des réserves qui privilégient le maintien des emplois plutôt que l’enrichissement de quelques personnes à l’intérieur de l’entreprise. C’est un modèle qui intéresse beaucoup les élus parce qu’il a une autre manière de concevoir l’économie.

Au sein du gouvernement, Arnaud Montebourg est très attaché à la reprise d’entreprise par les salariés. Pour Benoît Hamon, ministre délégué à l’ESS, les mutuelles, les coopératives et les associations doivent avoir la possibilité d’aller plus loin dans le développement économique des territoires. Et le fait que les acteurs de l’ESS soient fortement impliqués dans les emplois d’avenir n’est pas anecdotique. Il y a un souci de prise en compte de la jeunesse et de créer de la richesse en maintenant celle-ci sur les territoires.

Cependant, les associations, liées aux politiques publiques, ont subi le choix d’un certain nombre de collectivités de suspendre des pans de leur politique, notamment dans le social et le médico-social. Par exemple, des collectivités locales ont décidé d’arrêter la prévention spécialisée. Le résultat est que les associations porteuses de ces politiques se sont retrouvées sans ressource et ont été obligées de licencier du personnel. C’est pour cette raison que 2011 a été une très mauvaise année : 22 000 emplois ont été supprimés dans le milieu associatif.  

Une Banque publique d’investissement (BPI) a été créée et doit consacrer 500 millions d’euros aux entreprises du secteur de l’ESS. Mais avec quel dispositif ?

Cette BPI est attendue parce qu’elle a une approche différente de l’actuel Programme investissement d’avenir (PIA), difficile d’accès pour un certain nombre d’entreprises. Le PIA ne finance que de l’investissement sur des courtes durées. Cela ne correspond pas à la réalité de ce que sont les entreprises de l’ESS et les entreprises en général.

L’Etat a corrigé ces dysfonctionnements et si les orientations prises sont maintenues, la BPI devrait permettre à certaines entreprises d’avoir de la reconstitution et de la stabilisation de fonds propres. Elle devrait permettre d’intervenir sur tout ce qui est innovation sociale. Or, aujourd’hui, on n’a pas de financement de l’innovation sociale alors que les entreprises de l’ESS en sont des acteurs essentiels sur les territoires.  

Le gouvernement a indiqué que les emplois d’avenir devaient être créés notamment dans des activités présentant un caractère d’utilité sociale ou ayant un fort potentiel de création d’emploi. L’ESS est-elle en mesure de répondre à ces critères ?

La question est d’arriver à trouver les jeunes qui correspondent aux postes que nous proposons. Il y a un travail important à mener avec les missions locales. Nous avons proposé au ministère d’organiser des rencontres entre les adhérents des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (CRESS), les services de l’Etat et les prescripteurs pour les jeunes. Benoît Hamon l’a déclaré récemment : les CRESS vont jouer un rôle important d’information et de promotion. Et il y a une mobilisation forte de toutes les composantes de l’ESS pour aider à la mise en place de ces emplois.

Économie
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