Entre promesses et décisions, petits pas et grand écart

Pour quelques promesses tenues, trop d’atermoiements, d’engagements édulcorés ou remis à plus tard nourrissent une inquiétude légitime.

Michel Soudais  • 1 novembre 2012 abonné·es

Comme s’ils devaient eux aussi s’en persuader, les socialistes n’ont eu de cesse, tout au long de leur congrès, de répéter que « le changement est en marche » . Et dire leur « fierté » – un mot repris en boucle par tous les intervenants ou presque – d’avoir porté l’un des leurs à l’Élysée. D’avoir aussi retrouvé une majorité à l’Assemblée nationale et encore plus au Sénat… « Le Parti socialiste est fier de ce qui a déjà été accompli en six mois » , a lancé Harlem Désir, son nouveau Premier secrétaire, avant d’égrener pêle-mêle la liste d’une bonne douzaine d’ « engagements tenus par le gouvernement » . Une sorte d’inventaire à la Prévert où des mesures déjà effectives, comme « la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler très jeune », « la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire » ou « l’augmentation du Smic » , côtoyaient des promesses en cours d’adoption, soit la création de 40 000 postes dans l’Éducation nationale à la rentrée prochaine, ou des appréciations flatteuses de textes en discussion. L’exercice tient de la méthode Coué et vise surtout à entretenir le moral des troupes. Des troupes saisies par le doute, agacées par la cacophonie et les atermoiements du gouvernement, et un tantinet déprimées par la chute rapide de l’exécutif dans les sondages. Conscientes également que les écarts entre les promesses de la présidentielle et les décisions du gouvernement ne contribuent pas toujours à percevoir un changement réel « maintenant ».

Plusieurs engagements de campagne de François Hollande, et non des moindres, ont déjà été édulcorés. C’est le cas du plafonnement des rémunérations dans les entreprises publiques fixé à 450 000 euros et non plus à vingt fois le Smic. Mais aussi du doublement du plafond du Livret A, qui, selon « l’agenda du changement » présenté par le candidat le 4 avril, aurait dû intervenir au 30 juin ; face à la levée de boucliers des banques, le gouvernement a opté pour une hausse de 25 % au 1er octobre et a promis de le relever progressivement « en fonction des besoins » . D’autres engagements sont remis à plus tard, comme la loi qui devait imposer aux industriels se désengageant d’un site de le céder à un repreneur – une proposition de loi existe pourtant, elle a été déposée le 28 février par… François Hollande – ou celle contre les licenciements abusifs, pour laquelle le gouvernement aurait pu reprendre une proposition de loi du Front de gauche contre les licenciements boursiers, soutenue au printemps par les sénateurs socialistes. Reportée également (à quelle date ?), la « loi d’assainissement des activités bancaires » qui devait séparer les activités de dépôt et les activités spéculatives, et lutter « contre les produits toxiques et les paradis fiscaux » . Selon « l’agenda du changement » , elle devait être adoptée « entre le 3 juillet et le 2 août »

Candidat, François Hollande avait fortement critiqué le style de la présidence de Nicolas Sarkozy. Chacun a en mémoire sa longue anaphore lors du débat d’entre-deux-tours, « moi président de la République, je… », annonciatrice d’une autre manière de gouverner.

De fait, les trois premières annonces du nouveau pouvoir ont symboliquement marqué une rupture et la volonté d’afficher au sommet de l’État une certaine exemplarité : signature par les ministres d’une charte de déontologie, gouvernement paritaire, baisse de 30 % du salaire du président de la République – Sarkozy l’avait augmenté de 170 % – et des rémunérations des ministres. Signe d’une présidence « normale », le chef de l’État prend ostensiblement le train plutôt que l’avion présidentiel quand il peut. Après un quinquennat agité, voici le temps de l’apaisement.

Sarkozy annonçait une loi après chaque événement, Hollande est plus posé. Le premier clivait et entretenait une conflictualité permanente, le second consulte et recherche le consensus. Au risque de paraître indécis. Et surtout de décevoir son électorat sans satisfaire pour autant ses adversaires.

« Étions-nous vraiment prêts ? » , s’interrogeait récemment Jean-Marie Le Guen, dans un entretien au Nouvel Observateur (12 octobre). Le député de Paris, pilier de l’ex-courant Strauss-Kahn, incriminait moins la préparation de François Hollande à l’exercice du pouvoir, que les conditions de sa victoire à l’issue d’une campagne « envahie par l’antisarkozysme » . En clair, si le rejet de Nicolas Sarkozy a permis l’élection de François Hollande, une contradiction idéologique béante existe entre les attentes des électeurs qui l’ont porté au pouvoir, notamment les quatre millions d’électeurs du Front de gauche, et le credo social-libéral de l’équipe en place. Au sein du PS lui-même, cette contradiction oppose ce qu’il reste d’héritiers d’un socialisme de rupture, partisans de mener la bataille idéologique, aux réalistes qui tiennent les principaux postes de commande, partisans de gérer l’existant, qui veulent donner du temps au temps et ne conçoivent le changement qu’à petits pas, dans la durée.

Ces derniers n’excluent pas de renier tout bonnement certains engagements. Comme la renégociation du traité budgétaire européen. Certes, le candidat Hollande avait intégré dans son programme les contraintes européennes, dont le TSCG ne faisait que formaliser solennellement l’acceptation, mais, en acquiesçant très vite aux préconisations libérales de l’Union européenne, le chef de l’État a accepté de fait l’austérité. Et renoncé à tout changement social et économique significatif. En atteste aussi son approbation, inscrite dans les conclusions du Conseil des 28 et 29 juin, des « recommandations » de la Commission européenne à la France, destinées à être traduites « dans ses décisions nationales sur les budgets, les réformes structurelles et les politiques de l’emploi » . Ce choix n’a pas fini de marquer le quinquennat qui s’ouvre, comme les cadeaux fiscaux accordés aux plus riches à l’été 2007 ont orienté celui de Nicolas Sarkozy.

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