Habité par la fonction

Nous avons suivi le ministre dans l’un de ses déplacements. En quelques mots et attitudes, rapide portrait d’un « dur ».

Lena Bjurström  • 22 novembre 2012 abonné·es

Ce vendredi après-midi, Manuel Valls rend visite à l’un de ses prédécesseurs, Daniel Vaillant, député-maire du XVIIIe arrondissement. Petit discours devant un parterre composé d’élus locaux, de la hiérarchie policière du quartier et de journalistes. Histoire de bien rappeler de quelle tradition il se réclame, le ministre de l’Intérieur fait d’abord allusion à Georges Clemenceau, dont le buste trône dans le bureau de ce « cher Daniel ». L’éloge du « Tigre » lui permet de rappeler « la belle tradition de ces grands ministres républicains de gauche qui savent que le progrès va de pair avec l’ordre républicain ». Un ordre au nom duquel celui qui se définissait comme « le premier flic de France » organisa en 1906 et 1907 contre les grévistes, ouvriers ou vignerons, une sanglante répression…

En un quart d’heure, « l’ordre républicain » reviendra quatre fois dans la bouche de Manuel Valls, venu dans ce quartier de Paris classé zone de sécurité prioritaire (ZSP) exposer « la nouvelle façon de lutter contre la délinquance ». Il passe en revue « l’économie souterraine », « les vols à la tire », « les vols violents », « la vente de drogue » et… « les prostituées », dit-il avant de se reprendre : « la prostitution, le proxénétisme ». Le ministre rappelle « qu’aucune atteinte à l’autorité de l’État ne doit être acceptée », qu’il faut « attaquer là où la délinquance est enracinée », et qu’il faut développer « un partenariat resserré entre tous les acteurs locaux de la sécurité ». Du solide. Du classique. Claude Guéant et Brice Hortefeux n’auraient pas parlé autrement.

Heureusement, il y a « la police de proximité », qui permet au ministre de l’Intérieur socialiste de se distinguer un court instant de ses prédécesseurs de droite, ultraréactionnaires. « La police de proximité », dit-il, « un concept que l’on a trop dénigré et qu’il faut réhabiliter ». Il exprime aussi sa volonté de « sortir de la politique du chiffre », dans laquelle le sarkozysme a excellé. Ce qui ne mange pas de pain… Ce sera tout pour la gauche. Quand une journaliste l’interroge sur une possible surestimation de la délinquance de certaines zones (avec les 49 supplémentaires annoncées jeudi, leur nombre s’élève désormais à 64), Valls répond sèchement que le choix de ces zones « est fondé sur la réalité ». On n’en saura pas plus. Il se fait même cassant lorsque, évoquant le dossier corse, une autre journaliste se risque à affirmer qu’il ne peut pas s’en tenir à des allusions : « Je crois que si, je peux. » Sourcils froncés, il appuie lourdement sur le « je ». Manuel Valls habite ses nouvelles fonctions sans états d’âme. Et se dessine un profil de « dur » qui plaira, à n’en pas douter, à une certaine clientèle.

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