Hollande réhabilite Sarkozy

En allégeant de 20 milliards d’euros les « charges » des entreprises, le gouvernement socialiste reprend la politique de son prédécesseur. Avec coupes dans les dépenses publiques et hausse de la TVA.

Michel Soudais  • 15 novembre 2012 abonné·es

La scène était improbable. Elle s’est néanmoins produite le 6   novembre, sous les yeux éberlués de quelques millions de téléspectateurs. Interrogée par David Pujadas sur les mesures du « pacte pour la compétitivité et l’emploi », annoncées quelques heures plus tôt par Jean-Marc Ayrault, Laurence Parisot dit sans détour la satisfaction des patrons d’avoir « été entendus ». Que la présidente du Medef approuve l’action d’un gouvernement n’est déjà pas banal. Quand de surcroît les « mesures sérieuses » qui l’agréent sont envisagées par un gouvernement socialiste, ce satisfecit est un événement. Motivé par ce tournant à 180 degrés du gouvernement, dont le revirement sur la TVA est vite devenu le symbole.

Parmi les mesures annoncées, au lendemain de la remise du rapport de Louis Gallois, la principale est un crédit d’impôts de 20 milliards d’euros accordé aux entreprises sur trois ans. Une libéralité inattendue en ces temps de crise, qui se traduira par une baisse des cotisations sociales de 6 % sur les salaires compris entre 1 et 2,5 fois le Smic. Et qui sera « financée pour 10 milliards par des économies supplémentaires dans les dépenses publiques, sur deux   ans, et pour 10   milliards par la restructuration de la TVA et la fiscalité écologique », a indiqué le Premier ministre. Sous l’euphémisme d’une « restructuration » annoncée de la TVA, c’est bien une hausse de cet impôt direct que programment le gouvernement et François Hollande au 1er janvier 2014 : ils en attendent 7 milliards de recettes supplémentaires. Ce faisant, le chef de l’État renie plus qu’une promesse électorale, six mois, jour pour jour, après sa victoire à l’élection présidentielle. Jusqu’à ce 6 novembre, les socialistes, à l’exception de Manuel Valls, s’étaient fermement opposés à un transfert des cotisations sociales patronales sur la TVA, taxe caractérisée par l’ensemble de la gauche, depuis des lustres, comme un impôt injuste. Cela leur avait plutôt réussi. En 2007, Nicolas Sarkozy souhaitait expérimenter un tel transfert sous l’appellation de « TVA sociale ». Entre les deux tours des législatives, Laurent Fabius parvient à focaliser le débat sur ce projet et fait gagner une trentaine de sièges au PS. Prudent, Nicolas Sarkozy range sa bonne idée jusqu’en janvier dernier, où il la rebaptise « TVA antidélocalisations ». Elle prévoit une baisse des cotisations patronales pour environ 13 milliards d’euros, financée par une augmentation de la TVA de 1,6 point. Objectif affiché : alléger le coût du travail pour doper la compétitivité des entreprises. Déjà. « L’augmentation de la TVA, cela ne peut pas être social », tonne en premier Pierre Moscovici, alors directeur de campagne de François Hollande. Qui s’y oppose nettement, le 30 janvier, à Brest : «   Je la considère inopportune, injuste, infondée et improvisée. C’est inopportun d’augmenter la TVA au moment même où la croissance se ralentit, de l’aveu même du Premier ministre. C’est infondé   *: la compétitivité n’est qu’un faux prétexte. Ce n’est pas en baissant les cotisations patronales de quelques points qu’il y aura quelque progrès que ce soit dans notre commerce extérieur. Il y a là un mauvais prétexte pour une mauvaise cause.*   » À l’Assemblée, où le projet de loi est débattu, Jean-Marc Ayrault mène la bataille parlementaire, souhaitant au passage « bon courage aux députés UMP de partir en campagne législative avec un dossard “La TVA augmente, votez pour nous, votez pour Sarkozy !” ». Le 14 février, il dépose même une résolution pour réclamer un référendum.

La loi est néanmoins adoptée, et son décret d’application publié in extremis au Journal officiel le soir même de l’élection présidentielle. De cette bataille politique les électeurs ont retenu l’opposition du nouvel élu à ce transfert de charges et son engagement, maintes fois proclamé, d’abroger la « TVA Sarkozy ». De fait, cette abrogation aura été l’une des premières lois votées par la nouvelle Assemblée nationale. Et l’une des rares mesures populaires dont la majorité socialiste et écologiste s’est prévalue, en diffusant notamment autour du 1er octobre, date à laquelle l’augmentation de la TVA devait s’appliquer, un tract qui saluait « le jour où la TVA n’a pas augmenté ». « Cette hausse de l’impôt le plus injuste aurait coûté chaque année 400 euros aux ménages, y lit-on. Elle aurait particulièrement frappé les classes populaires, les classes moyennes et les jeunes. » Dix jours à peine avant les annonces du gouvernement, plusieurs orateurs du PS au congrès de Toulouse, dont François Rebsamen, président du groupe au Sénat, et Harlem Désir, le nouveau Premier secrétaire, vantaient encore la suppression de la « TVA sociale ». Martine Aubry, quant à elle, avertissait qu’un « choc de compétitivité » qui augmenterait la CSG ou la TVA serait « un choc pour le pouvoir d’achat ». C’est dire combien le revirement du 6 novembre a été brutal. Certes, le taux minimal de 5,5 %, appliqué aux produits de première nécessité (produits alimentaires de base, cantines scolaires, etc.), sera ramené à 5 %. Mais le taux dit « normal », à 19,6 %, sera porté à 20 % et le taux intermédiaire de 7 % (applicable à la restauration, aux transports en commun, aux travaux de rénovation de l’habitat comme à l’achat de terrains pour la construction de logements sociaux) passera à 10 %. Si les parlementaires ronchonnent, la blogosphère parle plus volontiers de « trahison ». « On nous a menti pendant la campagne », s’emporte ainsi Politeeks (ex-Intox2007). « On nous a demandé, j’étais dans l’équipe de campagne, de démonter le projet de TVA sociale de Sarkozy, […] de diffuser des promesses pour la première année… Et voilà que les taux de TVA sont simplifiés et augmentés. Cela pose un problème politique quand on fait l’inverse de ce que l’on a dit », a commenté la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann.

Plus que le recours à la TVA, c’est l’absence de conditions et de contreparties aux 20 milliards d’aides aux entreprises qui hérissent les parlementaires. Et pas seulement ceux de la gauche du PS. En réunion de groupe, ils rappellent que François Hollande avait proposé, durant la campagne, de réformer l’impôt sur les sociétés pour favoriser les PME qui innovent et qui créent des emplois. Or le crédit d’impôt pour la croissance et l’emploi bénéficiera indistinctement à toutes les entreprises, comme feu la « TVA anti-délocalisations ». Autre similitude avec la politique sarkozyste : les décharges de cotisations sociales et les dégrèvements d’impôts accordés aux seules entreprises sont financés par une augmentation de la TVA de tous les ménages (salariés, chômeurs, pensionnés, retraités…). Face aux sarcasmes de la droite et à la grogne d’une partie de la majorité, le gouvernement nie que son « pacte de compétitivité » constitue un tournant comparable à celui de la rigueur décidé par François Mitterrand en 1983, ou à celui opéré par Jacques Chirac en 1995. Ce dernier, cinq mois après avoir été élu à l’Élysée sur son engagement de réduire la « fracture sociale », tournait le dos à ses promesses électorales et érigeait « la réduction des déficits » en  « priorité absolue », au nom de l’euro. Jean-Marc Ayrault, aussi droit dans ses bottes qu’Alain Juppé, son lointain prédécesseur en 1995, affirme que la démarche qu’il engage est « résolument de gauche » et « correspond aux engagements pris par le président de la République devant les Français ». Pourtant on ne trouve nulle mention dans les « 60 engagements » du candidat de la nécessité de remédier à un coût excessif du travail. Le diagnostic était rejeté par les socialistes. À l’époque, note le journaliste Éric Dupin sur le site Slate, Hollande semblait plutôt viser le coût du capital en ciblant la « finance » comme son « véritable adversaire », et le mot compétitivité n’apparaît qu’une fois dans ses engagements, à propos de la création d’une Banque publique d’investissement.

Dans Marianne du 10   novembre, et sur la seule question de la TVA, François Hollande concède au mieux « une inflexion » qu’il « assume ». Le ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, s’enflamme plus volontiers pour ce qu’il qualifie de « véritable révolution copernicienne pour la gauche ». L’expression habille d’élégance une réhabilitation indéfendable des canons de la politique économique sarkozyste. Laurence Parisot ne s’y est pas trompée. Michel Soudais

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