Le temps des aventuriers

Affichant très tôt ses ambitions présidentielles, Jean-François Copé est convaincu que la maîtrise de l’appareil de l’UMP lui ouvrira les portes de 2017. Une perspective pour laquelle il est prêt à tout.

Michel Soudais  • 29 novembre 2012 abonné·es

Jean-François Copé avait prévenu qu’il ne se laisserait pas voler « sa » victoire. Rien ni personne n’aurait pu le faire renoncer à la présidence de l’UMP. Ni les accusations de « fraude industrielle » portées avec quelques arguments par le camp de François Fillon, ni Alain Juppé, qui a été le premier président du mouvement, ni même Nicolas Sarkozy, qui l’a amené au plus haut. Lundi après-midi, après épuisement des recours statutaires, le député maire de Meaux s’est posé en vainqueur du scrutin interne. Pour la troisième fois en huit   jours. Officiellement gagnant de 952 voix, dans des circonstances troubles… Mais qu’importe à Jean-François Copé. Sa « droite décomplexée », qui est autant une idéologie qu’une pratique de la politique, s’impose à l’UMP. Et c’est bien là pour lui l’essentiel. Désormais, il tient les rênes du parti sans lequel il estime impossible de pouvoir être candidat à la présidentielle en 2017. Or cette candidature, il ne l’a jamais caché, constitue l’objectif de sa carrière politique… Il en a fait pour la première fois l’aveu public, le 11   novembre 2007, dans l’émission « Dimanche + ». Alors qu’un reportage le montre dans son fief meldois, Jean-François Copé confesse, depuis son bureau de maire, qu’il « souhaite un jour être en situation d’être candidat » à l’élection présidentielle. « Mais c’est dans très longtemps », précise-t-il. L’affirmation fait sourire. À 52   ans, Nicolas Sarkozy vient d’accéder à l’Élysée. Et Jean-François Copé, de neuf   ans son cadet, reste à la porte du gouvernement, malgré son passé ministériel (porte-parole du gouvernement de 2002 à 2007 en qualité de secrétaire d’État des relations avec le Parlement, ministre délégué à l’Intérieur, puis au Budget). Tricard ! Comme tous les « bébés Chirac » qui ont refusé de soutenir Édouard Balladur en 1995. « Il sera ministre de… Meaux », aurait tranché le nouveau chef de l’État.

Anticipant cette relégation, Jean-François Copé avait créé fin 2006, sur les conseils de Jean-Louis Borloo, son club, Génération France, pour exister intellectuellement et tisser de précieux réseaux. Devenu le meilleur ennemi de Nicolas Sarkozy, il se fait élire à la présidence du groupe des députés UMP, sans opposition de l’Élysée, qui lui prédit l’avenir de… Claude Labbé, l’inamovible président du groupe UDR, puis RPR, au Palais Bourbon de 1973 à 1986, et dont plus personne ne se souvient. Une belle erreur d’analyse. Après des débuts difficiles, Jean-François Copé fait de l’Assemblée sa citadelle. Omniprésent dans les médias, qu’il adore, il taraude l’exécutif avec ce qu’il appelle la « coproduction législative », méthode rompant avec la tradition des « godillots » gaullistes, et lance ses débats (islam, burqa…). De guerre lasse, et contre la promesse d’avoir son entier soutien en 2012, Nicolas Sarkozy lui confie le secrétariat général de l’UMP en novembre 2010, après avoir épuisé à ce poste Patrick Devedjian et Xavier Bertrand.

Les deux hommes ont toujours entretenu des relations complexes. En 1990, quand le jeune Jean-François Copé, tout juste sorti de l’ENA, adhère au RPR, c’est Nicolas Sarkozy qui l’introduit dans le groupe de réflexion chargé de préparer le programme législatif de 1993. Leurs pas divergent à l’élection présidentielle. Ministre du Budget, Sarkozy soutient Édouard Balladur quand Copé, directeur de cabinet (sans mandat électif) du ministre chargé des Relations avec le Sénat, participe activement à la campagne de Jacques Chirac. Un baptême du feu dont il sort avec deux mandats. Élu maire de Meaux le 18 juin 1995, il devient député le lendemain à la faveur de la promotion ministérielle de Guy Drut, dont il était le suppléant. Dix-sept ans plus tard, il affirme encore vivre dans le souvenir et la nostalgie de cette campagne de 1995 qui a vu le maire de Paris, trahi par son camp, l’emporter contre tous les pronostics. Mais c’est de Nicolas Sarkozy qu’il a le plus appris. La « pugnacité » et la « solidité » de l’ex-président lui ont inculqué « une leçon de vie ». « On a la même faim », explique, dans Copé, l’homme pressé (L’Archipel), celui qui s’est imaginé dès l’adolescence un destin présidentiel. Lycéen, le jeune Copé confiait ce rêve aux jolies filles de sa classe qu’il invitait après les cours. Au lycée Victor-Duruy, à Sciences Po, puis à l’ENA, il promettait à ses camarades une place dans son futur gouvernement, racontent Neïla Latrous et Jean-Baptiste Marteau dans UMP, ton univers impitoyable (Flammarion). Et a conservé longtemps, accroché au mur de sa chambre d’étudiant, le poster d’un bébé qui susurre en regardant la mer : « Un jour, je serai président. » Une obsession absolue, teintée d’arrogance, à laquelle il a tout subordonné. À cette fin, Jean-François Copé met en pratique les conseils prodigués par Nicolas Sarkozy à leur première rencontre : « En politique, on ne gère pas les carrières, on ne te donnera jamais rien. Il ne faut rien demander, il faut prendre. » Ou bien encore : « Ce qui compte, ce ne sont pas les mandats. C’est le parti. » En 2004, Sarkozy avait renoncé à Bercy pour prendre l’UMP. En 2010, Copé décline l’offre d’un grand ministère pour s’emparer du parti. Il a compris qu’avec la réforme institutionnelle de 2008, qui limite à deux mandats la présidence de la République, sitôt jouée l’élection de 2012, et quel qu’en soit le résultat, la clef de 2017 ne sera plus à l’Élysée mais à l’UMP.

Au secrétariat général de l’UMP, tout en travaillant à la réélection de Nicolas Sarkozy, il consolide ses bases. En un an, il change pas moins de quarante secrétaires départementaux, reconstitue des équipes et des fédérations, cajole les militants de multiples attentions. Mais joue aussi de la peur : « Il nous a tous mis un jour un pistolet sur la tempe en nous disant : “Soit tu es avec moi, soit je te coule dans le béton” », raconte le filloniste Laurent Wauquiez. Sarkozy battu, il se présente comme son héritier putatif, mime ses thèmes, ses accents, sa gestuelle. Il met le cap à droite toute, jusqu’à flirter avec le racisme… convaincu que le « basique » séduit les militants. « Le parti doit revenir à celui qui en veut le plus », avait-il dit à Nicolas Sarkozy à l’été 1999. En six mois de campagne interne, Copé a montré que les moyens importent moins que la fin.

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