Les ruses d’un système

La plupart des médias français se sont obstinés à donner des sondages qui n’ont guère de sens.

Denis Sieffert  • 8 novembre 2012 abonné·es

Obama ou Romney ? À quelques heures du verdict des urnes, il était toujours hasardeux de faire un pronostic. Mais nous avons tendance, en France, à plaquer notre logique jacobine sur un système américain fédéraliste totalement différent. Il en résulte une vision déformée de la joute électorale. Certains grands médias américains contribuent à cette analyse en trompe-l’œil. Ainsi, lundi, la chaîne ABC et le Washington Post publiaient un sondage faisant état d’une égalité parfaite entre les deux candidats, à 48 %. Étude qui, reprise massivement en France, entretenait le quiproquo. C’est qu’aux États-Unis il s’agit d’une bonne indication de ce qu’on appelle le « vote populaire ». Mais, rapportée sans explication chez nous, c’est une donnée illusoire. Car le système fédéral attribue la victoire à celui des candidats qui a totalisé le plus grand nombre de grands électeurs, soit 270 sur 538. Or, il suffit à un candidat d’obtenir 50 % et une voix dans un État pour ramasser la mise de tous les grands électeurs de cet État. Seuls le Maine et le Nebraska ont introduit une dose de proportionnelle. C’est la raison pour laquelle Obama et Romney ont concentré leurs efforts sur les fameux swing states, les États indécis.

Parmi eux, la Caroline du Nord, le Colorado, la Floride, le Nevada et la Virginie sont plutôt favorables aux républicains, tandis que l’Iowa, le Michigan, le New Hampshire, la Pennsylvanie et le Wisconsin penchent plutôt du côté démocrate. Reste le fameux Ohio, qui présente deux caractéristiques : celle d’être sans tradition établie, et l’autre de voter toujours pour le futur vainqueur. D’où l’extrême attention des deux candidats. Autrement dit, il est tout à fait possible que le gagnant soit minoritaire en voix à l’échelle du pays. C’est ce qui s’est produit en 2000. George W. Bush avait été élu alors qu’il était devancé en voix populaires par le démocrate Al Gore. Le candidat républicain l’avait emporté grâce aux 29 grands électeurs de Floride, tombés dans son escarcelle avec seulement 537 voix d’écart. Un résultat d’autant plus suspect que le gouverneur n’était autre que le propre frère de George Bush, et qu’il avait fait adopter, peu auparavant, une loi privant de leur droit de vote des centaines d’électeurs des classes populaires. Certains ont pu parler de « coup d’État » de la famille Bush. Et on n’était pas loin de la vérité. Au total, il faut s’interroger sur le caractère vraiment démocratique de ce scrutin. Sans revenir ici sur le principal problème : le poids de l’argent et des lobbies dans la campagne électorale (voir Politis n° 1218).

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