Lyon-Turin : Une lumière au bout du tunnel ?

La polémique enfle autour du grand projet de TGV entre Lyon et Turin. Les opposants s’appuient sur un référé de la Cour des comptes pour demander l’annulation des enquêtes publiques.

Thierry Brun  • 15 novembre 2012 abonné·es

Le projet de liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin sera-t-il suspendu, au grand dam de Jean-Marc Ayrault et de François Hollande, qui lui ont apporté un soutien sans réserve ? Les opposants veulent désormais porter la bataille contre ce grand projet sur le terrain judiciaire, avant le sommet franco-italien du 3 décembre à Lyon [^2].

Une demande d’annulation de deux enquêtes publiques est en cours, en particulier celle concernant la « nouvelle liaison ferroviaire entre Grenay (Isère) et Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) dans le cadre du projet Lyon-Turin », « sur la base des observations de la Cour des comptes ainsi que sur les probables conflits d’intérêts que nous avons relevés et qui ont été publiés dans la presse », a indiqué la Coordination contre le projet Lyon-Turin fret voyageur (CLT). Cette initiative, soutenue par des élus locaux de plusieurs départements, fait suite à la prise de position des écologistes français, suisses, italiens contre le projet, qui prévoit la réalisation d’un tunnel international de 57 kilomètres, et à la demande d’un report de ce chantier lors d’une convention sur les traversées alpines, organisée à Chambéry les 19 et 20 octobre. Surtout, la publication le 5 novembre d’un référé de la Cour des comptes, adressé à Jean-Marc Ayrault, a convaincu les opposants de plaider l’annulation des procédures publiques. « Le pilotage de cette opération ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires dans la conduite d’un projet d’infrastructure de cette ampleur et de cette complexité », estiment les magistrats, qui ont aussi demandé une « indispensable certification » par « des experts n’ayant pas eu à travailler sur le dossier et n’ayant pas de conflit d’intérêts au regard des suites du projet ».

Ce référé confirme ce que les opposants dénoncent depuis plusieurs mois et ce que notre enquête a révélé sur les conflits d’intérêts (n° 1221 de Politis, du 4 octobre). La Cour a mis en évidence la grossière sous-évaluation des coûts. L’estimation globale du projet est passée, en « euros courants » [^3], de « 12 milliards d’euros en 2002 à plus de 20 milliards en 2009 », puis à 24 milliards d’euros dans une « évaluation socio-économique de février 2011, voire 26,1 milliards selon les dernières données communiquées par la direction générale du Trésor ». Les prévisions de trafic de marchandises présentées par les promoteurs du Lyon-Turin, projetant une saturation de la ligne existante à l’horizon 2035, sont mises en cause. «  Le tonnage de marchandises transportées entre la France et l’Italie en 2011 est égal à celui de 1988 dans les Alpes du Nord, selon l’Office fédéral des transports suisse », explique la CLT. Ce qui rend caduc l’accord gouvernemental franco-italien signé en janvier, souligne Daniel Ibanez, un des porte-parole de la coordination, du fait que « les conditions de saturation des lignes n’existent pas et que le coût n’est plus celui annoncé dans l’accord ».

La Cour constate aussi « une faible rentabilité socio-économique » du projet de liaison ferroviaire ainsi qu’un « financement non défini ». De plus, « il apparaît que des alternatives moins coûteuses ont été écartées sans avoir été complètement explorées », relèvent les magistrats, qui recommandent notamment de ne pas ignorer l’amélioration de la ligne ferroviaire existante, comme le demandent les opposants au Lyon-Turin. Les arguments contre la nouvelle liaison ferroviaire n’ont pas convaincu Jean-Marc Ayrault. Dans sa réponse à la Cour des comptes, elle aussi rendue publique le 5 novembre, le Premier ministre défend le projet et estime que, « même dans des perspectives de trafic dégradées, le besoin d’une infrastructure performante entre la France et l’Italie est avéré pour aboutir à un report modal substantiel » de la route vers le rail. Les promoteurs, réunis dans le Comité de la Transalpine, présidé par Franck Riboud, PDG de Danone, se sont félicités de l’ « appel des parlementaires » en faveur du projet, opportunément lancé le 7 novembre par quatre sénateurs de la région Rhône-Alpes, dont Gérard Collomb, sénateur du Rhône et maire de Lyon. François Hollande et Jean-Marc Ayrault y sont invités « à lancer concrètement les travaux définitifs du tunnel », « alors que la représentation nationale n’a pas été consultée sur la ratification de l’accord [franco-italien] du 30 janvier 2012 », dénonce la CLT. Côté italien, l’insuffisance de la concertation initiale avait conduit au blocage du projet pendant près de six ans. Depuis, le tracé italien a dû être profondément modifié. Les manœuvres judiciaires en France pourraient de nouveau retarder les travaux.

[^2]: La Coordination contre le projet Lyon-Turin fret voyageur (http://lacoordination-contrelelyon-turin.overblog.com) organisera à Lyon, les 30 novembre et 1er décembre, un avant-sommet franco-italien.

[^3]: Qui tient compte de l’évolution de l’inflation.

Écologie
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