« Made in France » : derrière la com’ de la grande distribution

Nos supermarchés sont-ils patriotes ? Affirmatif a récemment déclaré Serge Papin, patron de système U, pour qui, « plus de 80% de l’offre alimentaire de Système U » serait déjà produite en France.

Xavier Bonnehorgne  • 2 novembre 2012
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« Made in France » : derrière la com’ de la grande distribution
© Photo : AFP / NATALIA KOLESNIKOVA

Serge Papin, le patron de l’enseigne Super U, s’est récemment illustré en défenseur du « made in France ». Interrogé le 18 octobre dernier par l’agence de presse Sipa sur la proposition d’Arnaud Montebourg de valoriser les produits français dans les supermarchés, Serge Papin s’est montré ouvert et offensif en déclarant que pour ce qui était de l’alimentation, « plus de 80% de l’offre de Système U » était déjà produite en France. Un chiffre très contestable à l’heure où la « traçabilité » des produits en grande surface reste un vrai parcours du combattant pour le consommateur.

Derrière la com’, l’utopie.

Pour ce fournisseur[^2] travaillant avec des centrales d’achats depuis une vingtaine d’années et auteur d’un blog contre la grande distribution, le « made in France »  dans les supermarchés est une utopie : « Cela fait bien rire les responsables qui travaillent dans les centrales d’achat. C’est de la pure communication et c’est le même message depuis 40 ans. Tant que les entreprises auront le droit de générer des codes barres français sur des produits dont la majorité des composants viennent de l’étranger, le problème ne cessera pas » .

Plus nuancé, ce jeune chef de rayon «  épicerie  » qui collabore parfois avec des producteurs locaux, explique que le problème est lié aux exigences fixées par la hiérarchie des grands magasins : « Les directeurs de supermarché et les chefs de rayons se plient aux contraintes de la marque qui ne se soucie pas du “ made in France ”  mais du prix, surtout en période de crise » .

Une question de rhétorique

Pour se justifier, les grandes enseignes usent en réalité d’une rhétorique qui joue sur l’ambiguïté entre, d’une part, l’identité du produit liée au lieu de fabrication, en majorité français et, d’autre part, l’origine des ingrédients qui composent ce dernier, souvent étrangère. C’est ce que démontre un chef de rayon des produits frais travaillant à Super U : « Serge Papin a raison. Nos yaourts et nos fromages sont à 90 % produits par Danone et Lactalis qui sont bien des entreprises françaises » .

Du côté du service de presse de Super U, on admet cette stratégie de communication : « La phrase de M. Papin aurait dû être traduite par l’idée que 80 % des produits qui nous sont vendus viennent d’entreprises françaises. Mais il est vrai que nous ne sommes pas en mesure de garantir que sur les 5000 références de notre marque, tous les ingrédients, composants proviennent de France ».

L’étiquetage dans le collimateur

Un aveu d’impuissance étrange pour des grandes surfaces qui rechignent toujours à améliorer les précisions de l’étiquetage sur les provenance, préférant valoriser les messages publicitaires. Exemple, avec le panneau « transformé en France » souvent accroché au-dessus des étalages de viande. Pour cette responsable d’un rayon boucherie dans un Intermarché, c’est une fausse manière de «  rassurer le consommateur » alors que «  cette viande dite « transformée en France » vient parfois de Nouvelle-Zélande ou d’autres pays » .

De même, du côté des rayons « liquides » ou « épicerie », le consommateur doit souvent se contenter d’un classique « fabriqué en France » sans jamais réellement savoir d’où proviennent les ingrédients du produit. Que dire pourtant de la fameuse moutarde de Dijon qui nécessite des graines qui proviennent du Canada à 80%, des États-Unis, de Hongrie, Roumanie et du Danemark. Un exemple qui confirme la règle puisque  selon un article de l’association UFC-Que-Choisir datant du 2 janvier 2010 : « 80% des biens de consommation vendus dans la grande distribution sont produits en Chine, au Maghreb ou en Europe de l’Est. »    

La grande distribution joue avec la législation.

Mais, si la grande distribution joue ainsi avec les nerfs du consommateur c’est aussi parce que la législation concernant la provenance des produits reste floue. C’est ce qu’explique ce spécialiste de l’alimentation à l’UFC-Que Choisir : «  Tant qu’il n’y aura  pas de définition plus claire que ce qui est indiqué actuellement dans la législation sur l’origine des produits,  la grande distribution pourra continuer à faire  des coups de communication. Ce qu’il faut pour le consommateur, c’est une meilleure “ traçabilité ” si l’on veut qu’il achète de manière plus responsable »

En cause, l’article 24 du code des douanes communautaire, issu de règlements européens du début des années 1990, qui stipule notamment qu’une « marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays, est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle. Un vocabulaire technique qui signifie en réalité  qu’un produit est considéré comme français si 45% de sa valeur ajoutée a été produite dans l’Hexagone. 

Un label « Origine France garantie »

En mai 2010, un rapport d’Yves Jégo (ancien ministre et député) intitulé « la traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi » adressait déjà une critique envers ce laxisme législatif concernant les critères de provenance. Un an plus tard, devant l’absence de réponses de la part des grandes surfaces sur cette question, Yves Jégo a créé, en coopération avec l’association « Pro France » , le label « Origine France garantie » dans le but de valoriser les produits français et les entreprises présentes sur le territoire français.

Pour l’obtenir, le produit doit être conçu entièrement en France et il ne peut contenir plus de 50% de composants étrangers. Symbole de la réussite de ce projet, la Toyota Yaris produite à Valenciennes, qui a obtenu le label en août 2011. Et Yves Jégo de commenter  : « Nous fêterons très probablement dès février prochain l’entrée dans ce label de la 1000e gamme de produits. On avance bien, mais le budget de l’association est restreint. » Même si celui-ci ajoute : « Les grandes surfaces font du faux ‘ made in France ‘  parce qu’elles ne veulent pas renoncer à leurs marges. Elles trouvent un intérêt économique à profiter du flou législatif européen » .

Verra-t-on un jour des rayons « made in France »  dans les supermarchés ?

 Selon ce responsable de rayon chez Leclerc, « on pourrait envisager de mettre en avant des produits 100 % français sur 10 à 15 jours, sous forme de promotion, mais ce n’est pas certain que cela intéresse vraiment le consommateur car les produits seront trois fois plus chers » . Du côté de la direction de Super U, on admet qu’il serait « envisageable » de promouvoir le « made in France » dans les rayons non alimentaire : « Pourquoi ne pas mettre en avant, par exemple, des jouets français ou du textile » ,  rapporte le service presse de la Direction de l’enseigne.  

En attendant que les grandes enseignes se mettent en mouvement, des projets naissent un peu partout en France. Notamment avec le site « MadineFrance.com » , qui propose des produits « 100%  made in France ».  Fabienne Butin, sa fondatrice, a récemment écrit au ministre du redressement productif Arnaud Montebourg pour plaider en faveur d’une mention « fabriqué en France ». Celle-ci serait apposée sur les produits et permettrait d’indiquer en pourcentage et par continent l’origine des matières premières et des composants finis. Reste à savoir si la multiplication des annonces sur le « made in France » pose le bon débat. Pour Christian Jacquiau, économiste et auteur de l’ouvrage « Les coulisses de la grande distribution » ,  «  la priorité n’est pas tellement que le produit soit 100 % “ made in ”, mais qu’il soit respectueux de normes éthiques, sociales et environnementales. Or, les produits français ne sont pas toujours une référence en matière de respect du droit des salariés et de pollution »

[^2]: Ayant préféré garder l’anonymat, comme les autres acteurs de la filière grande distribution que nous avons sollicité pour cet article.

Économie
Temps de lecture : 7 minutes
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