Obama et Hollande, présidents du moindre mal

Denis Sieffert  • 1 novembre 2012 abonné·es

Signe de ces temps de crise : à l’heure d’une élection présidentielle, il ne s’agit plus de rêver, mais tout juste d’éviter le pire. C’est au nom de ce principe peu réjouissant, mais réaliste, que beaucoup d’Américains de gauche iront voter le 6 novembre, avec pour principal objectif de barrer la route de la Maison Blanche à Mitt Romney, caricature d’une droite républicaine ultraréactionnaire, illuminée et cynique. Exactement comme nos concitoyens ont élu François Hollande pour épargner à notre pays le naufrage moral qu’un second mandat de Nicolas Sarkozy aurait rendu inévitable. La comparaison nous vient d’autant plus aisément que, ce même 6 novembre, cela fera tout juste six mois que le candidat socialiste a remporté la présidentielle. Assez pour sortir les rêveurs (s’il en existait encore) de leur douce torpeur, et toucher du doigt les limites du changement.

Nous savons aujourd’hui que nous aurons avec François Hollande quelques avancées non négligeables dans le domaine sociétal. À condition toutefois que celles-ci ne nécessitent pas un combat trop rude, comme c’est le cas pour le droit de vote des étrangers aux élections locales, à peine esquissé et déjà abandonné. Et nous tenons quelque chose d’indéfinissable et de fragile : un autre climat. Notre pays officiel a repris ses distances avec le Front national. Et ce n’est pas rien, même si l’acharnement de Manuel Valls à éloigner les Roms de notre regard fait tache dans ce nouveau paysage, et si le conflit de Notre-Dame-des-Landes menace de devenir une affaire d’État. Côté négatif, il y a bien sûr l’arnaque européenne. Ce traité ratifié par Nicolas Sarkozy et adopté tel quel par François Hollande. Une décision tristement inscrite dans la continuité d’une politique économique et sociale qui nous a conduits à un chômage record. En agissant ainsi, le président français a rapidement dilapidé son principal capital, qui résultait de l’impopularité de son prédécesseur. Barack Obama, lui, n’en dispose plus depuis longtemps. La gauche américaine a peut-être même déjà oublié George W. Bush. L’argument du « moindre mal » suffira-t-il au président candidat ? C’est tout le problème de l’élection américaine, qui s’annonce serrée. Combien parmi les femmes, les jeunes, les Noirs, les Hispaniques, électeurs d’Obama il y a quatre ans, lui feront défaut cette année ?

Nos démocraties malades produisent plus de réalisme et de résignation que d’enthousiasme. Or, nous avons besoin d’enthousiasme ! Cet espoir un peu irrationnel qui est l’énergie vitale d’une vraie démocratie, Obama l’avait incarné en 2008. Pour la gauche française, il faut remonter à 1981… Seul un vrai sentiment de rupture avec le dogme libéral pourrait redonner cet élan aujourd’hui. Hélas, des deux côtés de l’Atlantique, on a l’impression que ce qu’il est convenu d’appeler la gauche – et qui l’est, par comparaison – joue petit bras face à des ennemis résolus. Avec une différence de taille. Le président américain n’a pas de majorité au Congrès. Alors que notre François Hollande dispose, comme jamais un président de gauche avant lui, de tous les pouvoirs. Ce qui a d’ailleurs un effet singulier : ce n’est pas l’opposition politique qui mène la fronde ces jours-ci, ce sont les patrons.

Pendant que MM. Fillon et Copé font assaut d’hypocrisies à la télévision, les lobbyistes de l’Association française des entreprises privées rompent avec leur habituelle discrétion, et montent eux-mêmesau créneau. Ils semblent n’avoir plus trop confiance dans les duettistes de l’UMP pour gérer leurs intérêts. Ce sont les patrons qui tendent à nos socialistes le piège béant d’un débat sur la compétitivité. À vrai dire, le gouvernement avait commencé à se piéger lui-même en commandant le fameux rapport Gallois. On ne saurait trop conseiller à nos ministres la lecture d’une note remarquable produite par un groupe d’économistes d’Attac et de la Fondation Copernic. D’où il découle que le coût du travail est sans cesse mis en accusation, alors que le coût du capital est « oublié » dans la littérature de nos grands patrons, et dans la plupart des médias. Pour le dire de façon plus triviale, si les actionnaires préfèrent s’enrichir personnellement plutôt que d’investir, ce n’est pas la faute des salariés. Cette bataille franco-française rappelle celle que Barack Obama a menée sur le système de santé. On se souvient qu’il avait dû sérieusement reculer devant le lobby des assurances privées. Le rapport de force est plus favorable à François Hollande. Mais quand on voit la rapidité avec laquelle les fameux « pigeons », patrons de start-up et habiles communicants, ont semé la panique au plus haut sommet de l’État, on n’est guère rassuré. Peut-on demander à un président du « moindre mal » de nous faire rêver ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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