Silvain Gire : « La création sonore renaît sur le web »

Arte Radio fête son dixième anniversaire. Une démarche originale dans le paysage radiophonique.

Jean-Claude Renard  • 29 novembre 2012 abonné·es

En 2002, le volet français d’Arte créait sa radio sur le web. Anticipant les pratiques du numérique, la chaîne était alors pionnière sur un secteur qui n’intéressait personne. Aujourd’hui, d’autres grands groupes audiovisuels lui ont emboîté le pas (Europe 1, RTL, RMC, NRJ…), tandis qu’Arte Radio poursuit son offre éclectique, avec des programmes originaux d’une à soixante minutes, entre fictions, créations sonores, reportages, chroniques et chansons inédites. Entretien avec Silvain Gire, cofondateur de la radio avec Christophe Rault.

Il y a dix ans, qu’est-ce qui a présidé à l’idée d’une radio sur le web ?

Silvain Gire : C’était une idée de Jérôme Clément, de façon à ce que nous soyons présents sur le terrain des nouvelles technologies, tout en restant liés aux programmes de la chaîne. Finalement, nous avons très vite été indépendants d’Arte pour faire une radio de création, avec un budget annuel de 200 000 euros, qui n’a pratiquement pas bougé.

Que permet une radio délinéarisée que n’autorise pas une radio traditionnelle ?

En premier lieu, l’abandon du rendez-vous. On n’est plus assujettis aux programmes ni aux formats. Chaque création est ainsi originale et singulière, avec sa propre durée, son autonomie. C’est comme une boîte à bonbons de différentes couleurs, que l’on goûte et que l’on aime ou pas. Ce n’est pas une radio traditionnelle puisque nous n’avons pas de flux continu. On ne donne ni l’heure, ni les informations, ni la météo, ni les résultats du Loto. C’est à comparer avec la création radiophonique, avec les programmes dits « élaborés », où l’on reste dans la narration. Quand on est à la demande, en podcast, en téléchargement ou en écoute, c’est beaucoup plus adapté. La radio n’est plus ce compagnon qu’on écoute d’une oreille flottante, mais s’élève à la dignité de création. Quelque chose qu’on choisit, et dont la touche pause correspondrait à la page cornée d’un livre. Dans une certaine mesure, Arte Radio est plus proche de l’écriture.

Vous avez décidé très vite de conserver les archives en ligne. Pourquoi ?

C’était un pari qui nous obligeait à fabriquer des œuvres qui soient pérennes. Comme nous consacrons beaucoup de temps à chaque objet, parfois quatre ou cinq jours pour cinq minutes, et puisque nous ne sommes pas une radio de flux, nous avons voulu conserver une pertinence dans la durée. Si bien qu’un sujet créé en 2005, comme « Autoradio », de Jérémi Nureni Banafunzi, est encore écouté aujourd’hui. Ce parti pris nous impose de prendre du recul par rapport à l’actualité immédiate. D’autant que la radio s’écoute et se réécoute. Certains de nos auditeurs ont des sons Arte Radio dans leur itunes. On écoute une fois pour le sens, une autre fois pour le montage. Nous avons un public qui s’est inventé en même temps que l’objet, un public jeune, qui privilégie la qualité sonore. Si les gens nous accordent vingt minutes de leur temps, on se doit d’avoir cette qualité.

Ni rendez-vous, ni grille, ni obligation de production : cela limite les coûts. N’est-ce pas aussi ce qui pousse à la création sonore ?

Ce qui pousse à la création, c’est le temps dont on dispose. Le luxe désormais, dans les médias, c’est le temps. On ne presse pas les auteurs pour le montage, la prise de son, le mixage. Notre politique est de permettre aux collaborateurs de parler d’intimité, de politique, du social, de la société, de la culture, avec les armes de la radio, c’est-à-dire avec le son : le temps, le silence, l’espace entre les voix. Il s’agit de réhabiliter la radio comme un mode d’expression.

Comment voyez-vous l’évolution d’Arte Radio ?

Il faut l’élargir pour une jeune génération qui a besoin de cet espace pour s’exprimer. Il existe encore des formes à explorer. Il reste encore quelque chose en termes d’intimité, de narration à la première personne à développer, ce qui colle très bien avec la radio. D’autres champs sont à explorer, comme celui de la radio avec des images qui ne soit pas de la vidéo, mais en corrélation avec un webdoc, nourri de dessins et de pastilles sonores sur lesquelles l’internaute peut cliquer. La création sonore renaît aujourd’hui. Il faut arrêter d’être dans la déploration. On vit l’âge d’or de la radio !

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