Une opération vérité

Denis Sieffert  • 29 novembre 2012 abonné·es

Avec MM. Copé et Fillon, on ne sait plus à quelle référence se vouer. L’autre jour, un psychanalyste évoquait la Genèse. On voit bien en effet Caïn-Copé trucidant Abel-Fillon. Et c’est sans doute ce qui va finir par arriver – symboliquement s’entend – puisque la fameuse « commission des recours » a proclamé lundi la « victoire » de celui qui s’était déjà octroyé à deux reprises la présidence de l’UMP. Mais c’est après que ça ne colle plus. Car on n’imagine pas un instant Copé, comme le Caïn de la Bible, taraudé par sa conscience… Alors quoi ? Les Atrides se disputant la Toison d’or ? Le roi Lear déshéritant sa fille préférée ? Ou, plus prosaïquement, les Tontons flingueurs de Lautner et Audiard ?

La mythologie, la littérature, le cinéma ne manquent pas d’histoires de luttes fratricides autour d’un héritage paternel, ni de meurtres réels ou symboliques commis pour la conquête du pouvoir ou le fric. Tout cela renvoie sans doute à la nature humaine. Mais la lutte que l’on nous donne à voir aujourd’hui, comme un mauvais feuilleton, tient davantage de la farce que de la tragédie. Le scénario est de médiocre facture et les acteurs manquent de souffle. Il ne nous reste donc plus qu’à revenir à la toute petite politique. Petite, mais non dépourvue de signification. Car Fillon et Copé ne représentent évidemment pas le même courant. Et la haine qui les habite ne doit pas nous faire oublier qu’il ne s’agit pas seulement d’une affaire personnelle. Contrairement à ce qu’un certain récit médiatique tendrait à nous faire croire. Toute la campagne de cette primaire rocambolesque a d’ailleurs été placée sous le signe du mensonge. Les deux hommes n’ont cessé d’avancer masqués. Le point d’orgue de l’imposture ayant été un certain débat télévisé. On rigole bien aujourd’hui en se souvenant de ce concours de politesses, et de l’hommage quasi unanime des éditorialistes louant la haute tenue d’un dialogue entre gens de bonne compagnie. On racontait alors à nos concitoyens que rien, ou presque, ne séparait les deux prétendants, sinon d’infimes nuances de vocabulaire, et quelques différences d’attitude. Mais rien de grave. En vérité, derrière la farce qui déchire l’UMP, se joue un nouvel épisode de la droitisation de notre paysage politique. L’UMP est le théâtre d’une bataille entre ceux qui initient ce déplacement du centre de gravité de notre vie politique et ceux qui, tant bien que mal, tentent d’y résister.

Gardons-nous cependant de faire de François Fillon un parangon de vertu. Il incarne certes une figure plus traditionnelle et plus rassurante de la droite parlementaire. Mais ses convictions sont fragiles. Et son opportunisme manifeste. S’il se recentre aujourd’hui pour marquer sa différence, il ne peut faire oublier qu’il a soutenu sans états d’âme la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, déjà influencée par la patte ultra-droitière du conseiller Patrick Buisson. L’ancien Premier ministre, ex-gaulliste social, converti au sarkozysme, appartient bien, lui aussi, à la race des aventuriers politiques. Mais c’est évidemment de l’autre côté que se joue la partie. En digne héritier de Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé est infiniment plus près de la famille Le Pen que de l’héritage gaulliste. Et, comme l’ancien président de la République, il semble prêt à tout pour mener à bien son plan de carrière.

Le psychodrame de ces derniers jours ressemble donc à une opération vérité. Ceux qui tentent de colmater les brèches – y parviendront-ils ? – espèrent pouvoir continuer à avancer masqués le plus longtemps possible. Il est piquant dans cette affaire que l’on présente Nicolas Sarkozy comme un recours alors qu’il est l’artisan principal d’une dérive vers l’extrême droite rendue possible par un aventurisme sans principes. Soumise à ces pressions centrifuges, l’UMP n’est plus qu’une fiction. Un énorme bobard politique qui n’a pour seule utilité que de promouvoir un candidat à l’élection présidentielle. Un avatar de cette machine à mentir qui s’appelle élection du Président au suffrage universel. La machine se brise quand, par un étrange dysfonctionnement, elle produit deux candidats au lieu d’un. Mais, au risque de peiner certains de nos amis, disons que mutatis mutandis, la même démonstration pourrait être faite autour du Parti socialiste, que n’épargne pas le mouvement de droitisation du paysage politique. Il est même possible que la racine du mal vienne de là. Car Patrick Buisson n’existerait pas, et avec lui Jean-François Copé, si au fil des années l’électorat du Front national n’était devenu un enjeu essentiel de toute élection. Or, il n’y a que deux façons de conquérir cet électorat : par une vraie politique sociale qui réduirait massivement le chômage – ce que ne fait pas le Parti socialiste –, ou par un cynique discours pseudo-identitaire, prenant les immigrés pour cible – ce que fait déjà très bien Jean-François Copé.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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