Ai Weiwei : L’art de la dissidence

Un documentaire d’Alison Klayman rend hommage à l’artiste chinois Ai Weiwei, mais sans distance.

Lena Bjurström  • 6 décembre 2012 abonné·es

Ai Weiwei est un curieux personnage. Artiste, militant et donc dissident dans un pays, la Chine, où la liberté d’expression est un rêve plus qu’une réalité, l’homme a des allures de symbole. La journaliste américaine Alison Klayman l’a suivi durant plus de deux ans, filmant la matière d’un premier long métrage en forme d’hommage. De New York à Pékin, elle y relate le parcours de l’artiste et son engagement, mélange les images du présent et du passé pour dresser le portrait, humain, d’un homme engagé. Ai Weiwei Never Sorry s’efforce ainsi de montrer l’homme derrière l’image, exercice difficile s’il en est, car c’est tout le talent d’Ai Weiwei de brouiller ces frontières.

Célèbre pour la conception du fameux « nid d’oiseau », le stade des Jeux olympiques de Pékin en 2008 (des Jeux qu’il dénoncera par la suite), Ai Weiwei se révèle par ailleurs à travers un art conceptuel, peu subtil peut-être mais efficace. L’art semble n’être, pour lui, qu’un moyen d’exprimer sa critique permanente du pouvoir, et des autorités chinoises en particulier. Mais ce ne sont pas tant ses œuvres qui font la popularité d’Ai Weiwei que le parfum de dissidence du personnage qu’il s’est créé. Alison Klayman le montre bien, le « barbu » a l’art de se mettre en scène. Toujours suivi par son cameraman attitré, il se prend en photo jusque sur son lit d’hôpital. Chacun de ses actes est une provocation directement adressée au gouvernement chinois, un doigt d’honneur sur la place Tien’an men ou l’installation, dans la maison où il est confiné par les autorités, de caméras retransmettant en direct sa vie sur Internet. Et le monde est presque immédiatement averti de sa dernière action ou opinion en date grâce à la rapidité des réseaux sociaux, qu’il alimente d’un flux presque constant de commentaires. L’homme joue ainsi sans cesse avec son image, et se transforme en icône.

Ai Weiwei est certainement le plus célèbre ** des dissidents chinois dans son propre pays, et plus le gouvernement s’acharne, plus la popularité du « barbu » grandit. Quand il est détenu pendant 81 jours, les internautes lancent des appels à sa libération. Quand il est mis à l’amende pour « évasion fiscale », ses fans se mobilisent dans tout le pays pour recueillir la somme nécessaire. Et quand on l’accuse de pornographie pour une photo de nus, une centaine de Chinois prennent la pose dans le plus simple appareil et diffusent leurs images sur Internet.

Mais ce qu’Alison Klayman ne semble pas relever, tandis qu’elle s’attache à décrire le courage de l’artiste, c’est qu’il n’est ni le plus engagé ni le plus violenté des dissidents de l’empire du Milieu. (Ni Yulan, entre autres, une avocate militant contre les expropriations de terres, est sortie de prison les genoux brisés avant d’être à nouveau enfermée en décembre 2011.) La réalisatrice s’attache tant au personnage qu’elle en oublie de le replacer dans la perspective d’une dissidence chinoise multiple, dont Ai Weiwei n’est que l’élément le plus célèbre. Elle ne peut donc analyser réellement son importance au sein des résistances chinoises. Ai Weiwei est un homme de médias, c’est bien là que semble fondée toute sa force. Il connaît le pouvoir de l’image et de l’instantané, et sait user des outils de son temps pour servir sa cause. Symbole de la dissidence, il ne combat pas, comme Ni Yulan, sur le terrain des injustices quotidiennes. Il est la voix, libre et ironique, de tous ceux qui ne s’expriment pas. L’hommage d’Alison Klayman est émouvant, intéressant, mais, à trop admirer l’homme et son combat, la réalisatrice ne prend pas le temps de s’interroger sur sa popularité, qui pourtant questionne l’art et le sens de la dissidence.

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