Éloge de l’incongruité

Sur scène comme à l’écran ou sur les ondes, François Morel mêle gravité et légèreté, en privilégiant son métier de comédien.

Jean-Claude Renard  • 20 décembre 2012 abonné·es

Aujourd’hui, en tournée, François Morel joue le Bourgeois gentilhomme. Chaque vendredi, depuis quatre ans, il tient sa chronique dans la matinale de France Inter. Quand il n’est pas à la Maison ronde, il enregistre depuis les studios des stations de France Bleu. Une chronique allègre, en rebond sur l’actualité, assénant discrètement ses coups dans un verbe ciselé. Pointant les « futilités et les niaiseries d’une pétaudière » qu’on appelle l’UMP, ciblant un chef d’État qui « dit tout et son contraire afin de ne mécontenter personne », soulignant sur l’adoption « que le modèle hétérosexuel n’est pas forcément la panacée qu’on voudrait nous vendre » … Foin de gaudriole. Et, en cette fin d’année, il publie un abécédaire consacré à Raymond Devos, la Raison du plus fou (éd. du Cherche Midi), saluant l’acrobate et le musicien, le sens du tragique de l’humoriste, funambule sur le fil de la langue, entre imaginaire et absurde.

Il y a quelques mois, au Rond-Point, François Morel jouait une pièce de Thierry Illouz, À ma troisième robe, réflexion sombre et féroce sur le métier d’avocat. Voilà deux ans, il menait un spectacle en chansons, mis en scène par Juliette, le Soir, des lions, ni en vogue ni à la mode, hors du temps, popu et racé, mêlant gravité et légèreté, bruissant d’humour. Quelques années en arrière, François Morel jouait les Diablogues, de Roland Dubillard, avec Jacques Gamblin. Plus loin encore, il illuminait une pastille à la télévision, «   Les Deschiens   », après avoir intégré la troupe de Macha Makeïeff et de Jérôme Deschamps. Le toutim après une formation à l’école de la rue Blanche. D’un genre à l’autre, tout ça ne fait pas un humoriste. François Morel s’en défend. Et pour cause. C’est une activité comme une autre. Allons donc ! « On est mélancoliste, joyiste, ou tristique. Des fois, on est humoriste. »

Tout bonnement, François Morel a plutôt envie de se définir en comédien, et de « raconter des choses sur le monde, avec un peu d’humour, car sans humour, l’exercice devient vite difficile ». Mais un humour dont il se méfie, qu’il observe alentour, caresse, dédaigne, refuse ou adopte. « Il me semble qu’il y a de plus en plus d’humoristes, et de moins en moins d’humour. L’humour est partout, et en même temps, on a de moins en moins le droit de rire des choses. » Sur le sujet, « on en revient toujours à Pierre Desproges, ce qu’on pouvait dire et ce qu’on ne peut plus dire aujourd’hui ». Desproges, gravé dans le marbre. « Sans doute parce qu’il était moderne, juge François Morel, comme Coluche. Tous deux ont su se servir de la télévision, au contraire de Raymond Devos ou de Robert Lamoureux, qui étaient véritablement des gens de scène, avec un autre langage. Mais il y a chez ces gens-là, les meilleurs, un point commun : une faille, comme chez Jacqueline Maillan ou Guy Bedos, vrai faux méchant. Une faille aussi chez Zouk, bouleversante, dont les sketches tournaient autour de l’existence, de l’humanité, en profondeur, comme Sylvie Joly, jouant très bien du sens de l’absurde, de son sens de l’incongruité. »

Si ce touche-à-tout évoque volontiers des artistes passés, ou en retrait, c’est aussi pour mieux souligner les errances actuelles de l’humour. « Quand j’écoute certaines émissions, je ne comprends pas pourquoi les gens rient tant, avec des animateurs qui rient si fort à leurs propres blagues. Tout cela semble un rire fabriqué. On n’a même plus besoin d’ajouter un rire enregistré ! Les gens s’obligent eux-mêmes à rire. Surtout, on n’est pas obligé de rire tout le temps ! De tout, de n’importe quoi et n’importe comment. Personnellement, cette obligation de rire m’enlève précisément l’envie de rire ! » À la rentrée, François Morel bénéficiera pour quelques semaines d’une carte blanche au théâtre de la Pépinière, à Paris. Avec plusieurs de ses spectacles, et notamment Instants critiques, sa pièce inspirée par les joutes verbales échangées entre Jean-Louis Bory et Georges Charensol dans l’émission « Le masque et la plume ». Une autre occasion de sourire.

Publié dans le dossier
La crise du rire
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