Faut-il continuer à noter les élèves ?

Le débat sur la notation systématique revient régulièrement sur le tapis. Pour Jean-Michel Zakhartchouk, il faut la supprimer en primaire et mettre fin aux « moyennes générales ». Pour Sandrine Charrier, les méthodes d’évaluation alternatives ne sont pas non plus exemptes de critiques.

Olivier Doubre  • 6 décembre 2012 abonné·es

Illustration - Faut-il continuer à noter les élèves ?

Il y a quelque temps, une pétition a été lancée pour la suppression des notes à l’école primaire. Dans certains collèges, des enseignants se lancent dans des expérimentations de « classes sans notes ». Depuis plus d’un siècle, des spécialistes « docimologues » relativisent considérablement l’objectivité et la scientificité des notes. Est-ce à dire qu’il faudrait avant tout supprimer ces fameuses notes qui ont tant de poids dans notre école ? En réalité, il ne faut leur donner ni l’excès d’honneur qu’on leur attribue (justesse, précision…) ni cette indignité (c’est par elles que le mal arrive).

D’abord, le problème numéro un, ce sont plutôt les moyennes. Le principe de compensation (une mauvaise note dans une matière équilibrée par une bonne ailleurs !) incite les élèves à avoir un comportement consumériste et à faire marcher leur calculatrice pour savoir s’ils obtiennent le sacro-saint 10/20. Tant pis si, pendant ce temps-là, on s’occupe peu d’apprentissages. Le système hyperprécis des vingt ou des quarante échelles (puisqu’on note aussi les demi-points, quand ce n’est pas les quarts), outre qu’il donne l’illusion de la rigueur et de l’objectivité, va dans ce (mauvais) sens. Ensuite, il faut redire, après tant d’études convergentes, que les notes n’ont rien de scientifique, qu’elles varient fortement d’un enseignant à l’autre pour les mêmes copies, d’un contexte à l’autre (les effets de « halo » dans la correction de copies, qui font qu’on a tendance, par exemple, à surnoter celle qui vient après un lot de devoirs médiocres, etc.).

Non, les notes ne donnent pas d’informations véritables sur les progrès réalisés ou sur les points sur lesquels il faut porter ses efforts, car les élèves se désintéressent des appréciations et des barèmes une fois qu’on a répondu à leur question : « Monsieur, j’ai combien ? » Mais ce n’est pas seulement parce qu’elles décourageraient les abonnés aux mauvais résultats, parce qu’elles ne contribueraient guère à l’émergence de cette confiance en soi qui manque tant à nos écoliers, que les notes sont à remettre en cause. On peut faire leur procès tant au nom de la justesse que de la justice.
Oui, mais alors, vous êtes contre l’évaluation ? Vous voulez casser le thermomètre et ne pas renseigner les familles sur ce que savent ou savent faire leur enfant ? Et vous ne tenez pas compte de l’attachement profond des citoyens à ce système ?

Bien au contraire : si je critique les notes, c’est parce que je souhaite une vraie évaluation, qui valide des compétences en construction et indique les progrès qui restent à effectuer. Toutefois, il faut évidemment tenir compte des résistances, refuser les débats théologiques de principe et adopter une attitude pragmatique et réaliste. Ainsi peut-on proposer au ­minimum : la suppression des notes à l’école primaire au profit d’un livret de suivi, simple d’usage, et qui contienne un petit nombre de compétences à travailler régulièrement ; la fin des « moyennes générales » et des systèmes de compensation. On montrerait au passage que les plus laxistes ne sont pas ceux qu’on croit. Enfin, dans le secondaire, un encouragement aux expérimentations d’établissements où l’on s’efforce de ne noter qu’avec parcimonie, avec des modes d’évaluation qui soient avant tout des aides aux apprentissages. C’est ce que je mets en place dans mes classes et cela me semble plutôt bien fonctionner. Ayons en tout cas des débats sereins et argumentés sur cette question, les anathèmes ne faisant guère avancer vers une école plus juste et plus efficace, à laquelle nous sommes beaucoup à aspirer.

Illustration - Faut-il continuer à noter les élèves ?

L’existence de la notation chiffrée n’est qu’un aspect de la problématique beaucoup plus générale de l’évaluation des acquis des élèves et de la délivrance des diplômes. Remarquons en premier lieu qu’on ne note pas un élève, mais sa production. C’est d’ailleurs cette confusion, largement issue d’une société qui se construit sur la compétition, qui fausse le débat et crée nombre de malentendus. Par ailleurs, les différentes fonctions de l’évaluation (formative, sommative, certificative, diagnostique…) ajoutent à cette confusion par l’utilisation, dans le cadre de l’orientation, d’évaluations conçues avec un autre objectif.

Évaluer est donc un acte complexe, quasi quotidien pour les enseignants : partie intégrante de l’acte d’enseigner, il n’a de sens que conçu comme un élément du processus d’apprentissage. Il interroge ainsi à la fois les contenus enseignés, les pratiques pédagogiques, l’organisation du travail en classe et la question des examens. L’évaluation chiffrée est contestée aujourd’hui parce qu’elle serait ­stigmatisante, relevant plus les échecs et les manques que valorisant les réussites, même partielles. Par nature, elle favoriserait les classements et les hiérarchies. Sans nier l’importance des questions soulevées par ces arguments, le Snes, syndicat majoritaire des personnels du second degré, n’est pas favorable au système d’évaluation par compétences qui tente d’être imposé depuis la Loi d’orientation de 2005. En effet, ce dernier conduit à des évaluations incessantes, imposées au détriment des temps d’apprentissage, notamment par le biais de livrets de compétences. Chronophage, il n’autorise aucune forme de compensation entre les éléments évalués, principe pourtant fondateur des examens et concours. Les expériences menées dans d’autres pays montrent que, par ailleurs, il n’est pas plus lisible pour les parents que l’évaluation chiffrée, et ses effets sur la motivation des élèves ne sont pas avérés.

Parce qu’il est important de donner au jugement sur le travail scolaire sa dimension de formation et non de sanction, l’évaluation doit être l’occasion d’un ­dialogue entre l’élève et l’enseignant, et, de façon plus sporadique, entre l’enseignant et la famille. Cela impose aussi de modifier le statut de l’erreur dans notre système éducatif. C’est le côté pédagogique de l’évaluation. Au quotidien, les enseignants se posent beaucoup de questions à ce sujet, de nature didactique et éthique. Comme le dit le sociologue Pierre Merle, les notes « soulèvent des interrogations morales telles que la définition de l’égalité et de la justice ».

Pour le Snes, la note, dans ses diverses composantes, devrait être davantage explicitée aux élèves, permettre de valoriser leurs progrès sans démagogie, et de repérer leurs réussites. L’amélioration des pratiques d’évaluation passe nécessairement par la formation initiale et continue des enseignants, par leur connaissance des travaux de recherche à ce sujet. Mais rien ne sera possible si on ne parvient pas à atténuer la pression sociale qui pèse sur l’orientation, en particulier au collège, sur les élèves les plus fragiles scolairement. C’est, pour le Snes, un enjeu majeur de la future loi de « refondation de l’école ».

Clivages
Temps de lecture : 7 minutes

Pour aller plus loin…

Le revenu sans conditions est-il possible ?
Clivages 11 novembre 2015 abonné·es

Le revenu sans conditions est-il possible ?

Tous deux économistes de gauche, Jean-Marie Harribey et Baptiste Mylondo s’opposent sur la question du revenu d’existence, auquel le premier préfère la réduction du temps de travail et la redistribution.
Par Thierry Brun
Sortir de l’UE ou désobéir aux traités ?
Élections européennes 22 juillet 2015 abonné·es

Sortir de l’UE ou désobéir aux traités ?

À quelles conditions un gouvernement de gauche pourrait-il appliquer son programme dans l’Europe actuelle ? Quelle stratégie devrait-il adopter face à l’UE ? Ce débat, tranché par le PG à son congrès, est ravivé par l’expérience gouvernementale de Syriza.
Par Raoul Marc Jennar
Faut-il réformer le collège ?
Éducation 13 mai 2015 abonné·es

Faut-il réformer le collège ?

Pour Danièle Sallenave, assurer le socle des fondamentaux jusqu’à la 4e est le seul moyen d’éviter la reproduction sociale. Philippe Meirieu, lui, approuve l’accompagnement personnalisé, les enseignements pratiques interdisciplinaires et l’effort pour plus de justice scolaire, contenus dans le projet de réforme de Najat Vallaud-Belkacem.
Par Ingrid Merckx
Pour de nouvelles alliances de classes ?
Clivages 5 juin 2014 abonné·es

Pour de nouvelles alliances de classes ?

Après le désaveu électoral infligé à la gauche, un débat s’est ouvert au sein d’Attac autour de deux questions. Quelle stratégie pour sortir de la crise et rouvrir les voies du progrès social ? Quelles forces sociales pour porter un tel mouvement ?
Par Olivier Doubre