Florange : Non-dits, mensonges et trahison

L’accord présenté le 30 novembre comme une victoire du gouvernement s’est délité au fil des jours. Confirmant l’étendue des concessions faites par Jean-Marc Ayrault à ArcelorMittal.

Michel Soudais  • 13 décembre 2012 abonné·es

Jean-Marc Ayrault dit « comprendre » l’inquiétude des syndicalistes d’ArcelorMittal. Il « comprend qu’une partie de la gauche conteste » qu’il ait sauvé Florange. Ce qui n’empêche pas le Premier ministre d’être profondément convaincu d’avoir accompli ce qu’il estime être son devoir. Et même pas loin de penser que les 630   sidérurgistes lorrains sont des… privilégiés. Certes, il ne le dit pas comme ça. Toutefois, à l’entendre répéter que « beaucoup de salariés en France qui voient leurs emplois menacés auraient aimé bénéficier » de la même attention, l’idée est bien celle-là.

Une maladresse de plus dans un dossier où le Premier ministre les a multipliées ? On ne peut tout à fait l’exclure. Même si l’insistance à présenter comme enviable le sort des sidérurgistes de Florange, lancée à l’Assemblée nationale une première fois, redite sur France 2 et RTL, répétée dans le Journal du dimanche, incline davantage à penser que Jean-Marc Ayrault est à court d’arguments pour convaincre l’opinion que cet accord qu’il a lui-même conclu avec Mittal, le 30 novembre, constitue un compromis honorable. Et tenter aussi d’éteindre les polémiques suscitées par ses non-dits, petits et gros mensonges proférés à l’annonce de cet accord. Avec d’autant plus de facilité que Matignon refusait de rendre public un « accord industriel entre l’État français et un opérateur privé », justifiant ce secret au nom de la concurrence commerciale [^2].

Les révélations, sur le site du Monde et dans le Canard enchaîné, du contenu (partiel) du texte, quatre jours plus tard, ont grandement délité la présentation flatteuse qu’en avait fait le Premier ministre. Des « trois objectifs » présentés comme atteints par ce dernier dans la soirée du vendredi 30, un seul peut encore faire figure de victoire. Il n’y aura effectivement « pas de plan social » à Florange. Mais « les investissements importants sur le site », qui constituaient le second objectif, sont à relativiser fortement : sur les 180 millions d’euros qu’ArcelorMittal s’est engagé à investir sur le site et que Jean-Marc Ayrault présentait comme « un programme d’investissements industriels », seuls 53 millions iront à des « investissements stratégiques », précise le texte, le solde représentant « les investissements courants, les investissements de pérennité, santé, sécurité et progrès continu, et la maintenance exceptionnelle ». C’est trois fois moins que ce que préconisait un rapport, remis en juillet au ministère du Redressement productif (à sa demande), pour mettre à niveau et développer les seules « activités du site liées à la filière froide, et notamment l’emballage ». Pour l’ensemble des activités du site, le même rapport chiffrait l’investissement nécessaire dans une fourchette de 450 à 630 millions d’euros.

S’agissant du « maintien des hauts fourneaux de Florange pour permettre la préparation d’un projet industriel d’avenir, Ulcos », qui constituait le troisième objectif du gouvernement, Jean-Marc Ayrault a délibérément menti, nourrissant la colère des salariés. Au moment où le Premier ministre prend la parole pour annoncer les résultats de la négociation entre le gouvernement et ArcelorMittal, il sait ce qu’il adviendra des hauts fourneaux dans les mois suivants, ainsi que du projet de captage-stockage de CO2 Ulcos, comme l’atteste une annexe à l’accord mise en lumière le 7 décembre par l’AFP, qui a pu la consulter en partie. Les hauts fourneaux seront complètement arrêtés fin mars, sans perspective à court ou moyen terme de redémarrage. Le projet Ulcos, qui porte depuis des mois les espoirs des salariés, est abandonné sous sa forme actuelle, car il n’est pas assez abouti. Le sidérurgiste et le gouvernement s’accordent, dès le 30 novembre, pour retirer leur soutien à la demande de financement européen [^3] et travailler sur un nouveau projet. Un « Ulcos 2 » qu’ils proposeront lors d’un appel à projet ultérieur de la Commission, ce qui repousse de plusieurs années sa réalisation. Pourtant, dans sa déclaration, le Premier ministre fait le choix de ne pas annoncer abruptement que les hauts fourneaux sont condamnés. « La faible activité actuelle en Europe ne permet pas d’envisager [leur] redémarrage à court terme », indique-t-il, sibyllin. Puis, curieusement, il lie l’avenir des hauts fourneaux à la réalisation d’Ulcos, qu’il sait être repoussée aux calendes grecques.

Sur le moment, un autre mensonge passe inaperçu. « La consolidation de l’activité sur le site à Florange ne se fera pas au détriment d’autres activités similaires en France », affirme le Premier ministre dans sa déclaration. Le lundi, les salariés de Basse-Indre apprendront de leur directeur qu’une partie de leurs activités sera transférée à Florange (voir ci-contre). « Même le plus mauvais délégué syndical ne négocie pas aussi mal », note amèrement Édouard Martin, leader CFDT de l’intersyndicale du site de Florange, pour qui «  soit Ayrault est un imbécile, soit il est complice ». « Pas de conflit avec les puissants », c’est sa « manière de faire », estime Françoise Verchère, une conseillère générale du Parti de gauche de Loire-Atlantique qui a bien connu le Premier ministre (voir sa lettre ouverte que nous publions en courrier des lecteurs, p. 32). Comment expliquer autrement la trahison de la promesse de campagne faite par François Hollande aux métallurgistes de Florange, le 24 février ? Lorsqu’une firme ne veut plus d’une usine « rentable » et qu’elle ne veut pas non plus la céder, il lui sera fait « obligation de la vendre pour que les repreneurs viennent », avait annoncé le candidat du PS.

En visite sur le site de Florange le 24 avril, Jean-Marc Ayrault, conseiller spécial du candidat socialiste, avait promis de faire voter cette loi par « la future majorité parlementaire de gauche ». « Cette disposition législative, voulue par François Hollande et très attendue, s’inscrit dans notre stratégie de réindustrialisation et de relocalisation des entreprises », avait déclaré le futur Premier ministre. « Nous reprendrons la proposition de loi que nous avions déposée à l’Assemblée et qui avait alors été rejetée par la majorité sortante », avait-il précisé. Son gouvernement n’en a rien fait.

[^2]: Jean-Marc Ayrault expliquera après sa divulgation dans la presse qu’il souhaitait en réserver la primeur aux syndicalistes de Florange lors de leur rencontre à Matignon, mercredi 5 décembre.

[^3]: ArcelorMittal officialise ce retrait dans une lettre à la Commission européenne du 5 décembre, rendue publique le lendemain.

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