Imidiwen : Une transe pour le Nord-Mali

Imidiwen célèbre la musique touareg en lui apportant des couleurs inédites des Balkans.

Jacques Vincent  • 20 décembre 2012 abonné·es

En tamasheq, imidiwen veut dire « amis ». C’est aussi le nom d’un collectif réunissant les musiciens français du Chauffeur est dans le pré, qui au départ jouaient des musiques des Balkans, et des musiciens touaregs originaires du Nord-Mali. Imidiwen est une histoire de rencontre et d’amitié qui dépasse la musique. Le groupe est en effet engagé dans l’aide aux populations maliennes, d’autant plus depuis le début de l’année 2012 et le drame qui fait suite à la nouvelle rébellion touareg. Un conflit dans la suite directe des soulèvements qui se sont succédé depuis 1963.

Cette rébellion éclate dans un contexte ** particulier qui la différencie singulièrement des précédentes. En effet, si les combattants avaient auparavant des armes de fortune, nombre d’entre eux reviennent aujourd’hui de Libye et disposent d’armes nettement plus performantes et sophistiquées. En outre, le Mouvement national de libération de l’Azawad, qui milite pour l’indépendance de ce territoire du nord du Mali composé des provinces de Tombouctou, Goa et Kidal, s’est, dans un premier temps, allié au groupe islamiste Ansar Dine, lui-même lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique. Une alliance de circonstance mais surtout contre-nature, dans la mesure où les uns sont d’obédience laïque alors que les autres ne jurent – si l’on peut dire – que par la charia. De fait, les seconds n’ont pas été longs à rejeter les premiers et à imposer la loi islamique, interdisant notamment de jouer et d’écouter de la musique.

Ce quatrième album d’Imidiwen s’intitule Image de Kidal, et on ne peut pas l’écouter sans avoir une pensée pour les événements qui touchent cette région et apportent plus d’accablement que de réjouissance. En tout cas, aucune réponse viable aux anciennes revendications des Touaregs. Imidiwen est donc issu de la rencontre entre les musiques des Balkans et celle des Touaregs telle qu’on la connaît depuis l’avènement du groupe Tinariwen. Les musiciens touaregs chantent et tiennent les guitares électriques ; les Français ajoutent nombre d’instruments moins habituels dans cette musique, comme l’accordéon et, surtout, les cuivres : clarinette, clarinette basse, saxophone, tuba, trompette. Les guitares ont l’âpreté aiguë classique des sons du désert. La basse en a la chaleureuse rondeur ; les voix, une ferveur qui transporte. Les cuivres apportent des couleurs inédites, adoucissent les angles saillants, voire orientent vers une tendance soul qui rappelle par moments les musiques éthiopiennes, surtout dans les interventions groupées. Ou se fond la voix de la mélancolie, de la tristesse ou du désespoir, dans des morceaux aux titres évocateurs, comme J’entends la guerre ou Cœur déchiré. Les clarinettes trouvent là un rôle de choix.

La tendance festive revendiquée par Le Chauffeur est dans le pré est moins présente qu’à l’habitude mais s’exprime tout de même à plusieurs reprises, la plus remarquable étant le long et formidable « Imana » avec sa voix en transe, sa rythmique irrésistible, ses cuivres qui se laissent aller à tout leur éclat et son final en dub. Si on ajoute que l’on retrouve plusieurs reprises de Tinariwen, les grands aînés, on aura compris que, dans cette rencontre entre deux univers musicaux, la musique touareg reste centrale, mais dans une interprétation personnelle réussie qui trouve les arrangements parfaits pour faire cohabiter harmonieusement les styles. On peut même dire qu’il s’agit d’une célébration de cette musique et, par extension, d’une culture et d’un peuple que l’histoire continue de laisser pour compte.

Musique
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