La politique du rire

En temps de crise, les politiques font parfois les meilleurs comiques. Retour sur l’utilisation de l’humour à des fins électorales.

Pauline Graulle  • 20 décembre 2012 abonné·es

Il y a le politique dont on rit et celui qui nous fait rire. Parfois, l’un inspire l’autre. En 1995, Jacques Chirac reprend avec succès le slogan « Mangez des pommes », inventé par les Guignols de l’info pour moquer la vacuité de son programme présidentiel… Depuis, dans son musée de Sarran, trône une « pomme de la victoire » en cristal. Les politiques, des gens sérieux qui font de l’esprit. Rien de nouveau si l’on pense aux joutes parlementaires de la IIIe République pour mettre en boîte ses adversaires, aux saillies potaches de Clemenceau –  « Il se voyait César, il ne fut que Pompée » (sur Félix Faure, mort dans les « bras » de sa maîtresse) – ou même à de Gaulle, qui, interrogé sur sa santé en 1965, répondit d’un sourire gourmand : « Rassurez-vous, un jour, je ne manquerai pas de mourir. » Sauf que, société du spectacle oblige, l’humour est devenu un outil à part entière de la communication politique. « Les médias se sont approprié la politique par sa dimension carnavalesque. Si les politiques veulent se faire entendre, ils doivent donc s’y soumettre », analyse Denis Bertrand, sémioticien, qui animait cette année une conférence « Rire et politique » à l’université d’été du PS. « La montée en puissance des émissions de divertissement invitant des politiques a accentué le phénomène, explique Philippe Riutort, auteur de Sociologie de la communication politique (La Découverte, 2007). Pour ne pas faire baisser l’audience, la séquence politique doit être la plus légère possible. S’ils veulent rester de “bons clients”, les politiques doivent se plier au jeu, répétant avec leur coach de mediatraining la phrase qui fera mouche… »

Dans les agences de conseil en communication politique, on parle dorénavant « sketch » et « running gag ». Comme celui, fameux, de François Hollande pendant les cantonales de 2011 : « Je parcours toute la France pour trouver un candidat de droite. Je vais dans la Loire, je leur demande : “Vous avez de la droite, vous ?”  » Et ainsi de suite à chaque meeting… « Comique de répétition, absurdité de la situation, chute comme dans les meilleurs “one man shows”, commente la journaliste Hélène Jouan [^2], c’est un des exemples les plus construits des sketchs écrits par François Hollande. Il confie d’ailleurs qu’il l’a d’abord testé en Corrèze, comme la plupart de ses numéros à succès.  […] Le show man ménage ses effets. Pause après chaque salve. Main levée à l’adresse du public. » Son sens de l’humour a valu à « Monsieur petites blagues » un précieux sésame : la sympathie des journalistes. À droite, André Santini détient le record de nominations au prix Press Club humour et politique – notamment pour son « saint Louis rendait la justice sous un chêne. Pierre Arpaillange [garde des Sceaux sous Rocard, NDLR] la rend comme un gland ». Le député-maire d’Issy-les-Moulineaux expliquait récemment : « Au début, j’ai dû un peu forcer la dose. Comme j’étais un petit élu de banlieue, je n’intéressais personne. Les formules, c’est une forme de scud pour exister. » Le trait d’humour, ou l’art de capter l’attention de son auditoire. Mais pas seulement. Part intégrante de la langue de bois, il s’avère bien utile pour noyer le poisson ou se dégager d’une situation embarrassante. En 2011, le président-candidat Obama ridiculise publiquement Donald Trump, qui l’accuse de ne pas être né sur le sol américain, en montrant «  la vidéo de [sa] naissance »  : la scène d’ouverture du dessin animé le Roi lion  ! « Je précise pour Fox News : c’est une blague », se gausse Obama, qui vient de réaliser un « coup » magistral…

Outre-Atlantique, l’humour est un vrai rituel politique. Point d’orgue, le dîner de la Fondation Al Smith. Organisée depuis 1960 et retransmise en direct, la très chic cérémonie met en scène les candidats à la Maison Blanche rivalisant dans une sorte de stand-up dont l’unique objet est de faire rire les spectateurs, mais aussi (et surtout) son propre adversaire, lequel apparaîtra d’autant plus puissant qu’il sait rire de tout, même de lui ! Normal, parce qu’elle signifie la maîtrise de soi, « la maîtrise de l’humour renvoie à la maîtrise du pouvoir   », pointe Denis Bertrand. Mais manier l’humour est une gageure. Risque du jeu de mots obscène – le « Durafour crématoire » de Le Pen. Risque du bide dû à un surplus de méchanceté venant dévoiler la dimension agressive du jeu –  « Ségolène Royal n’a qu’un seul défaut, son compagnon », ricané par Montebourg en 2007. Enfin, l’autodérision mal digérée risque de faire passer son auteur pour… un clown. Avant de se porter candidat à l’Élysée, raconte Hélène Jouan, Hollande « s’est fait deux promesses : perdre sa mauvaise graisse… et son humour ». Un président qui se marre en pleine cure d’austérité, voilà en effet qui fait mauvais genre ! « Parce qu’il introduit de la distance, l’humour peut, dans certaines circonstances, dénoter un manque de conviction », ajoute Denis Bertrand, qui s’interroge : « La dérision généralisée n’est-elle pas une disqualification de la politique ? » Si, derrière la séduction, se cache toujours une dose de manipulation, l’humour en politique devrait donc nous rendre méfiants. Difficile, pourtant, de bouder son plaisir. Mais que dire d’une société où les bouffons sont devenus rois ?

[^2]: Le Petit Hollande illustré par l’exemple , Nouveau Monde, 10 euros.

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La crise du rire
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