Palestine, et maintenant…

Denis Sieffert  • 6 décembre 2012 abonné·es

Pourquoi se bat-on avec tant d’insistance, voire d’obstination, pour la Palestine ? La question nous est souvent posée, non sans arrière-pensées. Le retentissement planétaire du vote de l’Assemblée générale de l’ONU conférant à la Palestine un statut d’État observateur non membre est une réponse à cette question. Depuis 1947, la question palestinienne n’a jamais cessé d’avoir une portée universelle. Et l’intensité des passions qu’elle suscite est loin de faiblir. Le pari de l’oubli ou du pourrissement est aussi vain que désastreux. Jeudi dernier, 138 pays ont manifesté leur soutien à l’établissement d’un État palestinien. Quant aux neuf opposants, États-Unis et Israël en tête, ils font figure d’assiégés dans un monde hostile.

Le plébiscite de l’Assemblée générale de l’ONU pourrait agir comme un ultime signal d’alarme. Américains et Israéliens devraient sérieusement s’inquiéter d’être ainsi seuls, et vent debout, face au monde entier. Bien entendu, ils disposent toujours de la force, et les États-Unis d’un pouvoir financier qui assujettit les partenaires les plus récalcitrants. Mais peut-on se maintenir ad vitam aeternam en défiant ainsi la morale et le droit ? Sans cet interminable conflit qui constitue un abcès historique au cœur des relations entre le monde arabo-musulman et les pays occidentaux, l’histoire aurait sans aucun doute été toute différente. L’islamisme radical, ** qui se nourrit de ressentiment anti-occidental autant que de misère sociale, n’aurait peut-être pas gagné les âmes aussi vite et aussi profondément dans beaucoup de pays. La confusion entre politique israélienne et Israël, et entre sionisme et judaïsme, n’aurait pas répandu l’un de ses pires poisons : l’antisémitisme. Hélas, nous le savons : le « complexe de Massada », celui de la position que l’on croit inexpugnable et que l’on défend jusqu’au suicide collectif, joue toujours dans la psychologie des dirigeants israéliens. À moins qu’ils n’en jouent. La preuve : jeudi, ils n’ont pas perdu une minute pour aggraver les causes de leur isolement, et justifier tous les griefs dont ils sont l’objet. À peine connu le vote de l’ONU, ils ont annoncé un plan de construction de trois mille nouveaux logements, dont une partie dans une zone très sensible qui brise la continuité du territoire palestinien à hauteur de Jérusalem.

En une semaine, M. Netanyahou a offert au monde un échantillon remarquable de sa politique : une offensive contre Gaza aussi meurtrière que vaine, une bataille diplomatique d’arrière-garde contre l’Autorité palestinienne, et des représailles quasi infantiles en Cisjordanie. Comme s’il avait voulu se caricaturer. Le Proche-Orient est en plein bouleversement. Les rapports de force évoluent. Mais les dirigeants israéliens s’obstinent dans leur enfermement. Il n’y a décidément rien à espérer de ce côté. C’est donc à la communauté internationale de faire entendre raison. On ne sait ce que réserve l’administration Obama. La fuite sans doute. Encore qu’en toute logique, après avoir affirmé que la démarche palestinienne compliquerait le retour à des négociations bilatérales, il faudrait maintenant forcer Israël à des négociations bilatérales… Et sur des bases sérieuses, supposant le gel de la colonisation, un calendrier strict et un objectif affiché d’emblée, celui de deux États séparés par la frontière de 1967 et d’un partage de Jérusalem.

Mais si les États-Unis se dérobent, comme cela semble être le cas si l’on en juge par le communiqué désinvolte du Département d’État après l’annonce du plan de colonisation israélien, ce devrait être à l’Europe de jouer. Et, au sein de l’Europe, aux pays qui ont voté « oui » jeudi dernier. À la France, en premier lieu. Quelle belle occasion de retrouver un peu de tenue sur la scène internationale après l’ère Sarkozy ! Mais il faudrait pour cela de la cohérence. Il n’est pas concevable de prendre une position courageuse à l’ONU (il faut en donner acte à Laurent Fabius, sans oublier tous ceux, diplomates palestiniens, associatifs et personnalités, agissant dans l’ombre) et de continuer en même temps à renforcer les relations commerciales avec Israël, comme cela a été fait en juillet dernier. Il faut agir sans attendre. D’autres échéances ne tarderont pas à conduire les Européens à prendre leurs responsabilités. Que se passera-t-il quand les Palestiniens décideront de porter le conflit devant la Cour pénale internationale, comme leur nouveau statut les y autorise ? Quelle serait l’attitude de la France si Israël décidait de frapper l’Autorité palestinienne au portefeuille ? Le vote positif de la France l’engage pour l’avenir. On ne comprendrait pas que les États qui ont décidé d’accorder ce statut à la Palestine lui interdisent ensuite d’en user comme c’est désormais son droit. On peut facilement imaginer qu’Israël ne tardera pas à relancer l’hypothèse d’une attaque contre l’Iran, tentant une nouvelle fois de reléguer la question palestinienne à l’arrière-plan. Mais les événements de ces derniers jours ont confirmé que le conflit israélo-palestinien reste central, et qu’il ne s’éteindra pas de lui-même.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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