Quand la mine était un eldorado

Tout un homme retrace le destin des ouvriers maghrébins en Lorraine dans les années 1960-1980.

Gilles Costaz  • 6 décembre 2012 abonné·es

Sans problème d’ego, l’un de nos meilleurs auteurs peut faire du modeste « théâtre-document » pour témoigner d’une histoire oubliée. C’est ce que vient de réaliser Jean-Paul Wenzel, qui, avec Loin d’Hagondange et bien d’autres pièces, a marqué le théâtre contemporain, mais qui, avec Tout un homme, s’efface devant la parole d’autrui. Wenzel a une histoire particulière avec le bassin lorrain, puisque deux de ses pièces se passent sur ce territoire. Mais il n’avait pas eu l’occasion d’écrire sur les travailleurs immigrés qui contribuèrent largement à faire fonctionner les mines jusqu’à leur fermeture dans les années 1980.

Deux chercheuses, Tamara Pascutto et Alexia Serré, ayant entrepris de mener des entretiens avec des mineurs d’origine maghrébine, l’auteur a bénéficié de leur enquête et a poursuivi ce type de dialogue lors d’une résidence à Forbach. De ce volumineux matériau, il a tiré, avec Arlette Namiand, le texte d’un spectacle qu’il a mis en scène et dont il a présenté une première version dans les environs de cette commune minière. Le titre, Tout un homme, est pris à la formule de Sartre : « Si je range l’impossible salut au rang des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n’importe qui. » On voit donc défiler toute une série de personnages. Dans une première partie, ils sont algériens, souvent kabyles.

Dans la seconde, ils sont marocains. Pour les uns comme pour les autres, c’est le miroir aux alouettes qu’agite la France auprès de ses ex-colonies. Les mines de Lorraine proposent, vers   1970, « 44 francs par jour, logement gratuit ». Une fortune, vu du Maghreb, surtout quand on n’a pas 20   ans. Les jeunes se manifestent en foule. Les délégués des mines trient au jugé. Tampon rouge sur la poitrine : refusé. Tampon vert sur le sein : retenu. C’est ainsi que commencent de nouvelles vagues d’immigration qui vont rendre d’immenses services à la France. Le spectacle n’est pas exactement politique. Certes, ces jeunes travailleurs vont parfois participer aux revendications syndicales, mais l’originalité est surtout dans le tableau d’aventures humaines oubliées ou méconnues –   sans parler du témoignage terrible sur la vie quotidienne dans la mine (la poussière de charbon dans les poumons, les coups de grisou, l’indispensable solidarité). Ces personnalités ne sont pas en colère. Elles ont souffert d’épuisement et du racisme, mais elles ont su trouver leur place, mettre de l’argent de côté, et choisir ensuite entre la France et leur pays. Leurs propos sont touchants et d’une grande importance historique.

Wenzel fait reposer la soirée sur la parole et les acteurs. L’espace évoque une salle de réunion où l’on peut danser et boire du thé. D’ailleurs, les acteurs dansent et il y a des musiciens. Et le public boit du thé à la menthe à l’entracte. Hammou Graïa incarne surtout (car les comédiens peuvent jouer plusieurs rôles) un jeune Algérien partant à la conquête de l’eldorado minier. Il le fait avec une force sensible. David Geselson communique une belle intériorité, mi-triste mi-gaie, au personnage de Marocain qui ne pense qu’à revenir au pays pour faire de la poterie. Hovnatan Avédikian, Fadila Belkebla et Mounya Boudiaf assurent avec vérité d’autres figures principales et secondaires. Tout un homme ajoute l’utile – la page d’histoire – à l’émouvant et au fraternel.

Théâtre
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