À contre-courant / Saint-Nazaire, contrat piégé

Geneviève Azam  • 24 janvier 2013 abonné·es

Après le camouflet Mittal, le pacte de croissance et le choc de compétitivité semblent avoir le vent en poupe en France : les Chantiers de l’Atlantique ont décroché un contrat avec l’armateur Royal Caribbean Cruise Lines pour un paquebot géant, le plus grand au monde, le plus cher, un milliard d’euros, 2 700 cabines, 6 300 passagers et 2 100 membres d’équipage. Il n’est pas facile de questionner ce sujet tant le soulagement est grand pour les salariés de Saint-Nazaire. Ils n’ont pas, il est vrai, à payer les atermoiements pour une véritable diversification et reconversion du site, valorisant les savoirs et les équipements accumulés. Il n’est pas facile non plus de blesser l’orgueil « français » à l’heure du « redressement productif » et de négliger les emplois alors que le chômage de masse est là. Mais ce contrat est aussi un symptôme de la divagation de notre monde.

Les Chantiers de l’Atlantique sont détenus à 66 % par STX Europe, holding localisée en Norvège, elle-même filiale de la firme coréenne STX Corporation, et à 33 % par l’État français. L’entreprise était en concurrence avec STX Finlande, filiale elle-même de STX Corporation depuis 2008, via STX Shipbuilding. La globalisation et le grand mécano industriel et financier sont passés par là. Et parler de concurrence est faible : il s’agit en réalité d’une guerre économique entre deux filiales d’un même groupe, lequel ne peut que tirer des avantages financiers de cette situation. C’est l’intervention de l’État français, actionnaire, qui aurait été déterminante devant le refus du gouvernement finlandais d’accorder les 50 millions demandés par STX Finlande pour assurer un assainissement de l’entreprise. Que l’État français se soit démené en facilitant le montage financier ne fait aucun doute.

Mais l’entreprise coréenne STX Corporation joue de la concurrence entre ses filiales pour diminuer les coûts de production, dont le coût du travail, et obtenir des engagements financiers de l’État finlandais. Lequel se trouve de surcroît devant le risque de fermeture du site de Turku, du fait du refus annoncé par les banques de financer la construction de deux autres paquebots plus petits. La requête déposée par le gouvernement finlandais auprès de la Commission européenne pour concurrence faussée est très timide, tant le gouvernement finlandais craint in fine la perte du client états-unien et l’ire de la maison-mère coréenne.

Contrairement aux propos triomphants tenus en France, le décrochage de ce contrat n’a rien à voir avec le succès européen du pacte de croissance : ce qui est gagné par les uns est perdu par les autres. Par ailleurs, les Chantiers avaient entrepris un début de diversification avec des projets d’éolien offshore et d’énergies marines renouvelables. La saturation de l’outil industriel occasionnée par la construction du paquebot risque de repousser encore cette diversification, pourtant essentielle pour préserver durablement l’outil, les savoirs et les emplois, et pour enclencher la transition énergétique. Et ceci d’autant plus que la construction d’usines à vacances flottantes, énergivores, ressemble plus au capitalisme de Dubaï qu’à une réindustrialisation, et pérennise un modèle de consommation dont justement nous avons à nous défaire.

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