Internet : Un débat pas neutre

Le gouvernement semble hésiter à légiférer sur la neutralité des réseaux.

Julien Covello  • 24 janvier 2013 abonné·es

Qui veut vraiment une loi sur la neutralité d’Internet ? Malgré l’engagement de François Hollande, le gouvernement montre de sérieux signes d’hésitation. Le 15 janvier, la ministre de l’Économie numérique, Fleur Pellerin, réunissait à Bercy une table ronde sur la question. Une réunion marquée par l’annonce du renvoi à un séminaire fin février et à la « réflexion » du Conseil national du numérique, un organisme consultatif voulu par Nicolas Sarkozy et entré en fonction le 18 janvier. Une déception pour les partisans d’une loi, comme le lobby citoyen la Quadrature du Net, qui dénonce « l’inaction coupable » du gouvernement face aux atteintes toujours plus nombreuses à l’un des principes fondateurs d’Internet.

Sur le front européen, c’est aussi la reculade. Le 16 janvier, la commissaire européenne chargée de la Société numérique, Neelie Kroes, déclarait ne pas être opposée « à ce que les consommateurs s’abonnent à des offres Internet limitées, éventuellement pour un prix moins élevé ». Autrement dit des abonnements pour pauvres sans accès à certains contenus. Le gouvernement et la Commission européenne semblent donc se rallier aux intérêts des opérateurs, dont plusieurs piliers français, sans se soucier des droits fondamentaux des usagers. Fleur Pellerin avait d’ailleurs déclaré en juillet : « La neutralité du Net est un concept américain qui a tendance à favoriser les intérêts économiques de Google, Apple et consorts. » Or, pour les spécialistes des réseaux, c’est précisément le contraire : l’innovation sur Internet a profité de l’absence de ticket d’entrée. Permettre aux « intermédiaires techniques », qui sont souvent également fournisseurs de contenus, de prioriser certains flux ou de faire payer l’accès à leurs abonnés, comme l’aimeraient Orange et Free [^2], serait une atteinte à la nature même d’Internet, où quiconque peut « émettre » librement.

Pour Benjamin Bayart, président de French Data Network (FDN), fournisseur associatif d’accès à Internet, cela reviendrait à « bloquer la valeur ajoutée en très grande partie aux États-Unis ^3 », c’est-à-dire chez les grands fournisseurs de services comme Google et Facebook, qui devraient aussi être considérés comme des « intermédiaires techniques ». Même analyse pour Laurent Chemla, fondateur de Gandi.net, pour qui « l’asymétrie du trafic », entre de très gros émetteurs comme Youtube et la masse des consommateurs, est déjà une « atteinte à l’objectif de neutralité ». Il appelle à un plan ambitieux d’infrastructure pour rééquilibrer les échanges en ligne. Car derrière la neutralité du Net, se joue la question de savoir qui va payer la facture des énormes flux de données qui arrivent avec la vidéo HD et les grands services en ligne, pour lesquels les tuyaux actuels sont insuffisants. Les opérateurs veulent pousser les fournisseurs de contenu et les consommateurs à mettre la main à la poche. Les partisans d’une intervention législative rappellent pourtant que les éléments sont déjà sur la table. Ainsi, le député PS Christian Paul souhaite que « le principe de neutralité soit la règle, et les entorses des exceptions motivées ». En attendant, les internautes sont bien seuls face aux politiques commerciales des opérateurs et des fournisseurs de services.

[^2]: www.politis.fr/Touche-pas-a-ma-pub,20645.html, sur l’affaire Free contre Google.

[^3]: http://blog.fdn.fr/?possur-la-neutralite-des-reseaux 

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