L’urgence : scinder banques de dépôt et banques d’affaires

Susan George  • 24 janvier 2013 abonné·es

En entrant à la Maison Blanche en 1933, Franklin Roosevelt s’est empressé de signer une bonne douzaine de lois, dont la plus importante était le Glass-Steagall Act, qui imposait la séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires car leur fusion avait créé des ravages et précipité la crise de 1929. La banque commerciale est bien connue : elle tient votre compte personnel et vous accorde parfois un crédit, alors que la banque d’affaires lève des fonds pour les grandes entreprises, s’occupe des introductions en Bourse, émet des titres d’entreprise ou d’État, garantit des fusions-acquisitions et spécule sur des produits dérivés. La banque de dépôt est rémunérée par les intérêts sur ses prêts et par les frais perçus sur les comptes. La banque d’affaires facture des honoraires et des commissions, elle opère aussi sur les marchés pour son propre compte. Ce sont deux animaux d’espèces complètement différentes mais, dans les années 1990, les banquiers américains pestaient contre leur séparation et voulaient absolument y mettre fin, en dépit du fait que la loi scindant ces deux activités avait préservé les États-Unis de toute crise bancaire depuis son instauration.

Après de nombreuses tentatives, et moyennant quelque 500 millions de dollars dépensés en lobbying et en contributions aux campagnes électorales de membres clés du Congrès, les banquiers sont arrivés à leurs fins en 1998 : la loi Glass-Steagall était enfin abrogée, et le jeu frénétique des fusions-acquisitions pouvait commencer. Notez tous les avantages qui découlaient de l’abrogation : les banques sont très vite devenues d’immenses machines abritant banques de dépôt, banques d’affaires, opérations de Bourse en tous genres et assurances sous un même toit. Des banques «  trop grandes pour faire faillite  », selon l’expression consacrée, qui peuvent désormais prendre des risques auparavant interdits, puisque l’État et les contribuables seront bien obligés de les sauver en cas de malheur. Suite à l’abrogation du Glass-Steagall Act, il n’a fallu que huit ans aux banques pour déclencher la crise sans précédent qui nous empoisonne depuis 2007.

Pour une fois, la France a devancé les États-Unis sur le chemin de la libéralisation à outrance : elle vit depuis 1984 sous le régime de la fusion des banques commerciales et d’investissement. François Hollande a donc raison de faire discuter en février à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires. Le président de la République imagine peut-être honorer ainsi une promesse de campagne. « Mon adversaire, c’est la finance », affirmait-il au Bourget en lançant sa campagne. Si c’est le cas, l’intention est louable. Hélas, le résultat sera nul – ou pire que nul, puisque c’est à tort que l’on se croira protégé. Car cette loi, si elle n’est pas sérieusement amendée, ne séparera rien du tout ou presque. Les activités spéculatives, y compris sur les denrées alimentaires de base, pourront continuer. Les produits dérivés continueront à proliférer. Le flash trading  [^2] aussi. La filialisation ne règle aucun problème. La loi prétend écarter les activités les plus dangereuses en les « filialisant », mais ces filiales seront toujours sous un même toit. N’importe quelle filiale peut pourrir l’ensemble, comme de nombreux exemples le montrent : le numéro 1 mondial de l’assurance, AIG, n’est-il pas tombé parce qu’une petite filiale française d’une petite filiale anglaise avait accumulé des risques colossaux ? C’est à cause de l’aveuglement de quelques traders dans la filiale d’une filiale d’AIG que le gouvernement américain a dû débourser 130 milliards de dollars en urgence pour éviter un effondrement de toute l’économie américaine… Filialisation ou pas, l’argent des contribuables continuera à servir d’assurance tous risques à quelques milliers de traders et de cadres dirigeants de banque. Et les banques ne rempliront pas leur fonction première, qui est théoriquement de prêter aux entreprises, notamment aux PME, et aux ménages.

Le début de la sagesse consisterait à séparer totalement les activités de dépôt et de crédit, d’une part, et les activités d’investissement et spéculatives, d’autre part. Bien d’autres mesures – telle l’obligation pour les banques de financer une transition verte – seraient les bienvenues, mais il faut aujourd’hui parer au plus pressé. Pour vous faire entendre de nos député(e) s, signez et faites signer par vos ami(e)s l’appel sur www.monadversairecestlafinance.fr. 

[^2]: Pratique qui consiste à acheter et à vendre des titres très rapidement.

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