Mali : Les intérêts de la France

François Hollande affirmait le 12 janvier que « la France ne défend aucun intérêt particulier » dans son intervention militaire et qu’elle « n’a d’autre but que la lutte contre le terrorisme ». Est-ce bien la réalité ?

Nina Bontemps-Terry  • 24 janvier 2013 abonné·es

Si l’intervention française au Mali peut sauver des femmes de la lapidation, les délinquants et les mécréants de la mort ou de la mutilation, c’est évidemment tant mieux ! Les visées humanitaires, dont après tout on n’a pas de raisons de douter, sont cependant loin d’être les seules motivations de cette opération. La Françafrique apparaît nettement en toile de fond. Si la France était la mieux placée pour intervenir, c’est bien parce que son armée, avec 950 militaires, est installée en permanence au Tchad. Et cela parce qu’elle défend des intérêts économiques de premier plan dans la région. Car c’est un vaste territoire dont il faut parler, qui va du Tchad à la Mauritanie, et même au Sénégal, en passant par le Niger, le Burkina Faso et bien sûr, au nord, l’Algérie (voir ci-contre). Le paradoxe de la situation, c’est que la France n’a pas en soi d’intérêts majeurs au Mali. Son influence se traduit surtout par la présence du géant France Télécom, actionnaire principal du groupe sénégalais Sonatel, dont la filiale Orange Mali emploie plus de 30 000 personnes et représente 3 % du PIB malien. Mais il n’y a guère que 4 800 ressortissants français dans le pays, dont 2 000 salariés.

Si les échanges avec le Mali ne s’élèvent qu’à 10 millions d’euros (ce qui fait de celui-ci le 87e client de la France), ils ne rendent compte qu’en partie des liens toujours étroits avec cette ancienne colonie. N’oublions pas que la communauté malienne en France est forte de 80 000 personnes. Mais le Mali est aussi l’objet de convoitises en raison de ses réserves en or (il en est le troisième producteur en Afrique), avec au moins sept mines exploitées, en particulier à la frontière sénégalaise. Des réserves de pétrole existent aussi dans le bassin de Taoudeni, au nord, tout près de la Mauritanie et de l’Algérie. Au total, les entreprises françaises comptent au Mali vingt-huit filiales qui emploient 2 700 salariés, tandis que trente-six sociétés dirigées par des Français occupent 1 050 personnes pour un chiffre d’affaires de 13 milliards de francs CFA (environ 21 millions d’euros). Elles sont principalement implantées dans l’exploitation de la mine d’or de Sadiola, au sud-ouest du pays, œuvrent dans le développement des infrastructures (routes, réseau électrique et barrages hydrauliques) et dans les télécommunications.

Les enjeux sont autrement importants dans les pays voisins. Récemment, le président nigérien, Mahamadou Issoufou, mettait la France en garde : «   Le Niger considère que la crise malienne lui pose un problème de sécurité intérieure. Les islamistes radicaux ont déjà déstabilisé le Mali. Si rien n’est fait, ils vont déstabiliser l’ensemble des pays du Sahel. La prise d’otages sur le site gazier d’In Amenas le prouve   [^2]. » Car le Niger est riche en pétrole et, surtout, en uranium. Et de grandes entreprises françaises sont présentes dans ces pays voisins du Mali. En premier lieu, le groupe Areva, qui en retire plus d’un tiers de ses extractions d’uranium. De quoi alimenter 30 % des centrales EDF. Il est également le premier actionnaire des entreprises Somaïr et Cominak, qui extraient de l’uranium au nord-ouest du pays. Cette année, Areva commencera à exploiter le gisement d’Imouraren, en travaux depuis 2009, qui devrait être l’une des plus grandes mines africaines à ciel ouvert. Un projet qui représente 1,2 milliard d’euros d’investissement. Le groupe espère extraire 5 000 tonnes d’uranium par an pendant trente-cinq ans. La France est également présente sur le marché de l’eau puisque Veolia a signé un partenariat avec le Niger pour y améliorer l’accès à l’eau potable. Contrat renouvelé en 2011. Les autres liens économiques entre la France et le Niger demeurent modestes, sachant que l’uranium représente 99 % du total des importations françaises. Mais le conflit au Mali pourrait booster les ventes d’armement. «   Après l’intervention, révèle Antonin Tisseron, chercheur à l’Institut Thomas More, le Niger a formulé un certain nombre de demandes à des pays pour du matériel militaire car il craint une déstabilisation du nord. À cette occasion, la France a déjà vendu deux hélicoptères à Niamey. »

L’autre grosse affaire de la région , c’est évidemment le pétrole. Le géant Total est implanté depuis huit   ans en Mauritanie, autre voisin du Mali. En 2012, Total a renforcé l’exploitation du bassin de Taoudeni grâce à la signature de deux nouveaux permis d’exploration. Les relations économiques entre la France et la Mauritanie sont donc au beau fixe. Toutefois, l’activité minière attire de nombreux investisseurs étrangers, ce qui pourrait menacer l’influence française dans la région. Les pays se livrent donc à une course aux ressources, espérant se positionner comme de futurs partenaires économiques. Intervenir au Mali permet ainsi à la France de prendre place dans cette compétition. Elle a d’ailleurs renforcé ses liens avec le président nigérien. Ce qui en fait un acteur économique de poids en vue de futurs appels d’offres, pour l’uranium par exemple. Bref, la lutte « antiterroriste », selon l’expression détestable empruntée aux néoconservateurs américains, n’est pas vraiment la seule motivation de la guerre française au Mali.

[^2]: Voir le Parisien du 19 janvier.

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