Pour des métropoles à la fois mondiales et vivables

Catherine Tricot  • 31 janvier 2013 abonné·es

Une révolution se déroule sous nos yeux : la métropolisation en cours bouleverse les équilibres territoriaux. Dans les années 1930, la France est devenue majoritairement urbaine. Le long exode rural s’achève avec l’urbanisation de quasiment tout le territoire français. Même dans les zones de faible peuplement, il n’existe plus guère de ruraux : tous vivent en lien avec une ville qui structure travail, loisirs, achats, santé, formation. La métropolisation donne un tour nouveau à cette domination de l’espace urbain sur l’ensemble du territoire. Celui-ci n’est plus structuré par un chapelet très ancien de grandes, moyennes et petites villes. Tout l’espace tend à être régi, organisé par la très grande ville. La succession des fermetures d’hôpitaux, d’écoles, de tribunaux, de casernes qui a marqué l’ère Sarkozy est l’expression brutale d’un choix unique en faveur des métropoles. La fin des anciens « pays » et l’extension du périurbain en sont une des conséquences. L’essentiel des lieux de production de la richesse matérielle et immatérielle se concentre dans ces métropoles. Dans la précédente révolution industrielle, il était nécessaire de réunir de grands établissements, des puits de main-d’œuvre pour une production de masse. Aujourd’hui, les conditions de production sont liées à la possibilité de connecter une multitude de métiers, de services, de qualifications. Il faut tout à la fois des lieux de fabrication et de service, de formation, de culture, des hôpitaux, des transports intérieurs et internationaux, des espaces de finance et d’arbitrage juridique, des espaces publics et des services publics, etc. L’échelle devient celle de la métropole. Elle est devenue le lieu de la production. L’usine d’aujourd’hui, c’est la grande ville.

Ce diagnostic fait, en gros, consensus. Mais il n’y a pas d’accord sur la conception de ces métropoles. Deux logiques s’opposent : l’une hiérarchique et ségrégative, l’autre égalitaire et ouverte. La logique dominante, affirmée par Sarkozy, lui-même issu de la grande ville, était ferme et cohérente. C’était celle de la polarisation, des pôles de compétitivité, du doublement de la taille de La Défense en tant que place financière, de la création d’un immense territoire de recherche et de développement sur le plateau de Saclay. Le projet du grand métro était initialement un lien entre ces pôles dynamiques et les aéroports parisiens. La contrepartie de cette conception est la ségrégation et parfois la relégation. On le sait pour le logement. On ne le dit pas assez pour la production, le commerce, les loisirs. Les grandes villes tendent à diviser l’espace en grandes enclaves, zone de bureaux et d’activités, zone de chalandises en entrée de ville, zone de recherche et centres financiers, zone de logements avec les différentes strates sociales. Les phénomènes ultrapuissants de hausse du foncier sont les carburants de ces spécialisations/ségrégations/exclusions.

Des choix politiques accompagnent ces tendances. La conception néolibérale de la ville est celle d’une hiérarchisation très forte des fonctions. Ce modèle domine les grandes métropoles mondiales, qui sont les lieux de pilotage du capitalisme mondialisé. Ce modèle ne correspond ni à l’histoire ni à la réalité de Paris. La force et l’attractivité parisiennes sont précisément d’être tout à la fois un lieu de production et de plaisir (la première destination touristique du monde), de formation, de culture, de mobilité (malgré les bugs, un réseau de transport inestimable), de pouvoir politique et économique. Ces dernières années, des phénomènes contradictoires percutent cette réalité ancienne. À toutes les échelles, les espaces se spécialisent : les cinémas de quartier ferment au profit des multiplexes, souvent en périphérie ; de vastes projets de centres commerciaux ou tertiaires sont dans les cartons ou sortent de terre ; les zones d’habitat suivent cette évolution. Dans le même temps, la coupure entre Paris et sa banlieue s’estompe. La Seine-Saint-Denis sort de sa relégation et entre dans le grand bain métropolitain. Les transports se modernisent et se démultiplient. De grandes cités populaires sont rénovées et désenclavées. Ces évolutions ne sont pas rien. Elles sont le fruit de l’engagement de municipalités progressistes, d’actions citoyennes, mais aussi de la pression des jeunes de banlieue, notamment en 2005. Ces transformations doivent prendre sens et être revendiquées politiquement.

Le Front de gauche se réunira le vendredi 1er février pour en débattre [^2]. Le parti pris métropolitain, celui du mixage, des échanges, du cosmopolitisme, doit s’y affirmer. De nouvelles luttes et engagements seront nécessaires. La gauche de la gauche peut s’appuyer sur une histoire sociale et politique. Paris se caractérise par cette étrangeté : une ville-monde qui totalise plus de 30 % de logements sociaux dans son périmètre dense (Paris et la proche banlieue). Une ville qui se souvient de ses révoltes passées et qui aujourd’hui encore conserve des forces politiques subversives non négligeables. La métropole parisienne peut être à la fois mondiale et vivable. C’est un grand projet politique.

[^2]: Colloque « Métropolisation : les nouveaux enjeux, le cas de la métropole francilienne », vendredi 1er février à 9 h, péniche Petit Bain (en contrebas de la BNF site François-Mitterrand, Métro Chevaleret).

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