À flux détendu

Christophe Kantcheff  • 21 février 2013 abonné·es

C’est un chapeau haut-de-forme dont sort un lapin squelettique, avec pour légende : « Dernier tour de magie »  ; c’est un homme marchant comme sur un fil mais au-dessous de lui, c’est le vide d’une faille profonde qui s’ouvre dans le sol ; c’est une statue équestre digne de trôner sur une place, dont le cavalier en armure chevauche… un énorme rat ! Les dessins d’El Roto, pseudonyme d’Andrés Rabago, né à Madrid en 1947, paraissent chaque jour dans le quotidien El Pais. Ils ne cherchent pas à plaire ni à provoquer. Ils alarment. Ils font le bruit strident d’un rire sardonique, un rire de scie pénétrant jusqu’aux entrailles. El Roto use d’une économie de moyens presque artisanale. Il dessine en noir et blanc, travaillant les contrastes, les poussant à leurs limites. Son noir est intense, charbonneux bien qu’ayant la sécheresse du fusain. Les mots sont comptés ou inexistants. Les Cahiers dessinés publient le Cahier électrique (158 p., 19 euros), avec une préface de Reyes Mate et une traduction de l’espagnol d’Olivia Resenterra. Le livre rassemble 130 dessins d’El Roto non datés. Une révélation pour les lecteurs français alors que les Espagnols entretiennent une relation déjà longue avec cet homme, également peintre. Après avoir été un militant antifranquiste, il n’a pas abandonné son œil acéré une fois l’Espagne entrée dans l’ère de la « démocratie ». Sa main semble jeter de l’acide sur les apparences pour mieux révéler ce qui se trame sous elles. El Roto est un lanceur d’alertes, impitoyable et grinçant, sur notre monde tel qu’il se réifie. C’est un homme derrière la clôture de son pavillon à la tête de chien méchant, avec pour légende : « Le propriétaire »  ; c’est un puissant dans sa voiture disant : « Votre niveau de vie est incompatible avec notre niveau de cupidité »  ; c’est la porte du paradis où est posté un militaire avec des ailes d’ange… El Roto n’épargne personne.

Culture
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