En quête de crédibilité

Dans l’incapacité de faire adopter la moindre de leurs propositions, les élus FN utilisent essentiellement leur mandat comme un porte-voix qui leur donne accès aux médias.

Michel Soudais  • 7 mars 2013 abonné·es

Ils siègent aux marges de l’hémicycle. Seuls, tout en haut à droite. Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen représentent le Front national à l’Assemblée nationale. Ces deux voix égarées ne comptent qu’un « allié » parmi les 575 autres députés : l’ancien frontiste Jacques Bompard, maire d’Orange (Vaucluse) et chef d’une groupusculaire Ligue du Sud. Pas de quoi influencer les débats du Palais Bourbon. Encore moins avoir une chance de faire adopter le moindre texte. « On a beau se battre, argumenter, ça ne sert à rien », expliquait, un brin désabusé, Gilbert Collard, le 6 février sur Canal +. Le bouillant avocat justifiait ainsi le fait qu’après avoir cosigné une bonne vingtaine d’amendements au texte sur le mariage des personnes de même sexe, il n’en ait défendu aucun. « Il est vain de déposer un bulletin de vote qui n’aurait aucun effet sur le dénouement du débat parlementaire », affirmait-il pareillement. Deux jours auparavant, sur le site de chrétienté.info, l’assistant parlementaire de Marion Maréchal-Le Pen expliquait l’absence de cette dernière lors du vote de l’article 1 par sa participation, à Avignon, à une manifestation des opposants au mariage pour tous, « une attitude beaucoup plus utile qu’un vote, au final, purement symbolique ».

Légiférer et contrôler l’action du gouvernement constituent l’essentiel de l’activité d’un parlementaire. Pas celle des deux députés d’extrême droite. Leur élection à l’Assemblée nationale a été saluée par le FN comme une victoire et une revanche. Victoire sur un mode de scrutin qui ne permet pas au parti lepéniste d’être représenté à hauteur des plus de 3,5 millions de voix obtenues par ses candidats au premier tour des élections législatives. Revanche sur l’histoire puisque le FN n’avait plus de représentant au Palais Bourbon depuis 1998, année marquée par la scission des cadres mégretistes qui a durablement affaibli le mouvement. De ses deux élus sans mandat antérieur, le FN attendait qu’ils contribuent à crédibiliser la stratégie de dédiabolisation relancée par Marine Le Pen. Marion Maréchal- Le Pen, si jeune soit-elle – elle n’a que 22 ans –, n’est pas sans passé. Petite-fille de Jean-Marie Le Pen et nièce de Marine Le Pen, elle a grandi au cœur même du clan dans la propriété familiale du parc de Montretout, où le fondateur du FN a ses bureaux. Tandis que sa mère, Yann Le Pen, s’occupait de mettre en scène les grandes messes du parti et veillait à la communication de campagne de Jean-Marie Le Pen, son père, Samuel Maréchal, a longtemps dirigé le Front national de la jeunesse (FNJ). Et c’est pour laver l’honneur de son grand-père qu’à la demande de ce dernier Marion Maréchal-Le Pen, qui n’avait pour expérience électorale qu’une candidature sur la liste FN aux régionales de 2010 dans les Yvelines, s’est présentée dans la 3e circonscription du Vaucluse. Ce que la jeune frontiste appelle « la dimension affective » de son élection a pour origine un événement à peine postérieur à sa naissance. Le 10 mai 1990, on découvre la profanation de 34 sépultures juives dans le cimetière de Carpentras. Le FN est officiellement montré du doigt, mais l’enquête piétine jusqu’à l’été 1996, où il apparaît que les profanateurs sont quatre néonazis sans lien avec le FN. Jean-Marie Le Pen, qui a toujours dénoncé une « manipulation d’État », n’aura eu de cesse de demander réparation. Avec l’élection de sa petite-fille, il l’obtient symboliquement. Élue, celle-ci manifeste la volonté de s’ancrer à Carpentras. Sa vaste permanence inaugurée en novembre sert également de siège à la fédération départementale du Vaucluse. Aux municipales, Marion Maréchal-Le Pen entend « créer une union des patriotes dans les villes de plus de 9 000 habitants du département ». Une union bien engagée : 47 des 102 amendements qu’elle a signés l’ont également été par Jacques Bompard, son voisin dans l’hémicycle, qui a quitté le FN en réaction à la montée de Marine Le Pen. Elle-même n’excluant pas de figurer sur la liste d’une ville de la circonscription du maire d’Orange.

L’avocat Gilbert Collard , élu dans la circonscription du Gard qui couvre la « Petite Camargue », était surtout connu jusqu’ici pour ses multiples procès médiatiques. Moins pour sa dérive politique. Après avoir adhéré « complètement » à Mai 1968, l’homme, aujourd’hui âgé de 65 ans, a milité au PS tout en fréquentant les trotskistes de Pierre Lambert, dont il a appuyé la candidature à la présidentielle de 1988 dans un clip officiel, avant d’opter pour le Parti radical valoisien, puis le Rassemblement pour la France de Charles Pasqua. Au nom de cet itinéraire, Gilbert Collard récuse également être d’extrême droite. Lui préfère se dire « souverainiste ». Et se présente comme un élu du Rassemblement bleu marine (RBM), et non comme un membre du FN, auquel il a refusé d’adhérer tout en animant nombre de ses réunions. Car, dans la famille Le Pen, Gilbert Collard, qui fut l’avocat de Pierrette Le Pen lors de son tumultueux divorce avec Jean-Marie, ne se réclame que de Marine. Il n’a d’ailleurs pas hésité à critiquer publiquement, à plusieurs reprises, le fondateur du FN, lui reprochant d’être « un homme trop prisonnier de l’histoire récente ». Cocasse. En 1990, Gilbert Collard avait pris la défense de l’universitaire négationniste Bernard Notin, ce qui lui avait valu d’être exclu du Mrap, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.

S’il affirme, comme Marion Maréchal-Le Pen, être en désaccord avec la patronne du FN sur la peine de mort, c’est bien les idées du FN que cet habitué des prétoires défend dans l’hémicycle avec sa jeune collègue. Les amendements qu’ils ont présentés depuis leur élection reflètent fidèlement le discours du parti : supprimer l’AME, l’aide médicale d’État accordée aux étrangers en situation irrégulière, afin de décourager « l’immigration sanitaire »  ; renchérir le coût de la délivrance ou du renouvellement des titres de séjour des travailleurs immigrés ; augmenter fortement le budget consacré à la lutte contre l’immigration clandestine en prenant sur les sommes consacrées à l’action « Garantie de l’exercice du droit d’asile » ; réserver les emplois d’avenir « en priorité aux jeunes de nationalité française, et subsidiairement aux citoyens des États membres de l’UE »  ; interdire l’accès aux emplois d’avenir « professeur » à ceux qui se seraient rendus coupables d’infraction à la législation sur les stupéfiants ; diminuer drastiquement la contribution de la France au budget européen, etc. Prouver qu’ils sont capables de discuter, de travailler des dossiers, de susciter le débat est l’obsession des députés frontistes. Sans illusions sur leur capacité à faire adopter leurs propositions, ils conçoivent le Parlement comme « une espèce de porte-voix ». Pas mécontents de constater que cette tribune leur ouvre la porte des médias. Dans une émission où ils étaient tous deux invités, Gilbert Collard pouvait ainsi lancer : « On ne serait pas là aujourd’hui si on n’était pas à l’Assemblée. » Du point de vue du FN, il semble bien que ce soit l’essentiel.