La révolte de l’intérieur

Une programmation dédiée à la Syrie, qui rend compte par le documentaire
et la fiction de la stupéfiante activité des cinéastes de ce pays, d’hier à aujourd’hui.

Jean-Claude Renard  • 7 mars 2013 abonné·es

Pleine ruralité. Dans un village syrien sans eau ni transports en commun. On y cultive le tabac, ramasse les olives, parcourt le haut plateau à dos d’âne. Les mômes se baquent dans des bassines, louent Dieu à l’école. Un Dieu « tout puissant [qui] a créé les hommes et les femmes par degrés. Parce que les gens se font par degrés, et apprennent par degrés. Et Dieu seul a la vraie connaissance ». Un discours qui rentre dans les caboches à coups de gifles, dans un univers très pauvre.

De quoi fuir le village et gagner la ville, avant d’intégrer l’armée, prémices à l’endoctrinement du parti Baas, la seule identité « à respecter après Dieu ». On est en 1978, et Ossama Mohammed, réfugié en France depuis mai   2011, livreavec ce film, Step by Step, une chronique plutôt visionnaire. Trente-quatre ans plus tard. Khaled Abdulwahed, avec Tuj, filme la frappe d’un ballon contre un mur. Frappe continue, inlassable. Dont le bruit finit pas laisser place au son du canon qui se rapproche. Jusqu’à la détonation finale. De son côté, avec Return to Homs, Talal Derky suit les traces de Basset, gardien de but de l’équipe nationale de foot, devenu l’un des protecteurs et défenseurs de la population civile de Homs contre les offensives de l’armée. Tandis que Salma Deiry et Rula Latqani dessinent le parcours et l’existence d’une chanteuse négociant avec la censure. Pour marquer deux années de révolte civile dans le pays, Arte propse un regard sur la Syrie par les cinéastes syriens. Entre documentaire et fiction. À commencer donc par ce Step by Step de 1978. Et à suivre par une demi-douzaine de films réalisés en 2012, des courts et moyens métrages. Tel Damascus, my first kiss, de Lina Al Abed, sur le statut de la femme, ses désirs et sa relation au corps, au sein d’une société dominée par les hommes. Tel ce Soldat inconnu, témoignage d’un déserteur ayant rejoint les rangs de l’Armée syrienne libre, soulignant sa quête d’un État laïc. Ou encore cette confession, titrée Mèche rebelle, d’une jeune femme ayant retiré le voile, livrant son impression de sentir le vent et la pluie dans ses cheveux.

Ces deux derniers films ont été réalisés par le collectif Abou naddarra, signifiant « l’homme à la caméra ». Un collectif rassemblant des cinéastes autodidactes, diffusant des courts métrages depuis   2010, de façon anonyme pour contourner la censure. Son premier film, les Infiltrés, donnait la parole à un vieil artisan dénonçant la corruption du régime. Dès mars   2011, chaque vendredi, jour ordinaire des manifestations, le collectif s’est mis à poster sur Internet des films d’une à cinq minutes. Pour Charif Kiwan, à l’origine du collectif, il s’agit de « rendre compte de la révolution loin des stéréotypes médiatiques et de la propagande, en nous intéressant au contrechamp de l’actualité et aux petites gens qui luttent en silence pour une société libre ». Si les auteurs, ** à l’évidence, travaillent dans l’urgence et l’entrave, avec de faibles moyens, « les gens que nous filmons parlent par nécessité, poursuit Charif Kiwan, d’où l’intensité de leurs témoignages ». Urgence et nécessité qui disent également la vitalité du cinéma syrien face au régime de Bachar Al-Assad. Parallèlement à la programmation d’Arte, depuis le 1er mars et durant quinze jours, sur France Télévisions, TV 5 Monde, Public Sénat, LCP, France   24, et en partenariat avec Radio France, sont diffusés vingt clips de 90   secondes pour rappeler l’horreur syrienne, sous l’égide de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Des clips réalisés par Béatrice Soulé et Sarah Moon, à partir d’images filmées ou relayées par des journalistes syriens. S’y croisent des personnalités, comme Michel Piccoli ou Patti Smith. Et Stéphane Hessel. Cadrée par Sarah Moon, cette image pourrait bien être la dernière prise de cet éternel jeune homme en lutte contre la résignation.

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