Les votes ne mentent pas

Le mythe du FN défenseur des petits contre les gros s’effondre à l’examen des amendements et prises de position de ses députés.

Michel Soudais  • 7 mars 2013 abonné·es

Marine Le Pen n’a pas été la dernière à réagir à l’accord national interprofessionnel sur l’emploi signé le 11 janvier. Même si sa première inclination la porte à fustiger un texte qui n’apporte « rien » aux PME-PMI, elle y voit aussi « de graves reculs pour les salariés » et « une avancée de la précarité ». Pour poser une fois de plus son parti en défenseur des petits contre les gros –  « les très gros », précise-t-elle –, elle lance le 15 janvier une fumeuse pétition en ligne contre « cet accord conçu pour servir les intérêts du Medef et de la grande entreprise ». La plupart des médias s’en feront l’écho. Aucun, en revanche, n’a remarqué un amendement déposé quelques jours plus tôt par Gilbert Collard, Marion Maréchal-Le Pen et Jacques Bompard, dans la discussion sur la loi créant les contrats de génération. Cet amendement vise à supprimer les pénalités, pourtant modestes, prévues pour sanctionner les entreprises de plus de trois cents salariés qui ne joueraient pas le jeu de ce dispositif de solidarité intergénérationnel. « Les entreprises […] sont déjà soumises à beaucoup de contraintes sans qu’il soit besoin d’en rajouter », plaident les trois députés d’extrême droite qui souhaitent en rester à des mesures… incitatives.

Acte isolé ? Pas vraiment. En d’autres occasions, les députés FN sont apparus plus préoccupés de défendre les intérêts des entreprises et des entrepreneurs que ceux des ouvriers et employés. Le 19 juillet, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative de 2012, Gilbert Collard, approuvée par sa cadette, est monté au créneau contre le versement anticipé de la contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés de 800 millions d’euros, qui ne pénalisait que les grandes entreprises : « Les firmes concernées vont répercuter votre ponction fiscale – qui n’est pas une ponction médicale, car vous tuez à petit feu le malade – sur leurs prix de vente ou, si la concurrence euromondialiste féroce leur interdit de majorer leurs tarifs, vous allez les inciter à délocaliser ou encore à bloquer, ce qui est tout aussi grave, les salaires. » Dans un autre amendement à ce projet de loi, Marion Maréchal-Le Pen demandait « que soit mis à l’étude le rétablissement de [la] TIPP [taxe intérieure sur les produits pétroliers] flottante ». Une mesure attendue, selon elle, par « de nombreux professionnels, routiers, chauffeurs de taxi, artisans ». Oubliés, les salariés contraints de prendre leur voiture pour aller travailler. Dans deux autres amendements, Gilbert Collard voulait exclure du barème progressif de l’impôt sur le revenu les titres à revenu fixe et les gains de cession de valeurs mobilières. Leurs détenteurs ne correspondent pas vraiment à l’idée qu’on se fait des « invisibles » et des « oubliés » dont Marine Le Pen veut être « le porte-voix ».

Ceux-là auraient plutôt des raisons de s’inquiéter quand, le 17 janvier, justifiant son refus d’abroger la loi Ciotti qui supprime les allocations familiales aux familles d’élèves absentéistes, la nièce de la présidente du FN se lance dans une diatribe contre « la gratuité [qui] déresponsabilise ». « J’en veux pour preuve, argumente-t-elle, le fait que les taux d’absentéisme les plus bas sont dans le privé : ils s’élèvent à moins de 0,5 %, contre 14 % en moyenne dans les lycées professionnels, et 6 % dans les lycées généraux. » La comparaison est foireuse – les chiffres cités proviennent d’enquêtes qui, selon l’Éducation nationale, ne permettent pas leur rapprochement –, mais le message subliminal éclaire un point obscur du programme frontiste. C’est bien l’école privée qu’il veut étendre.