Nick Cave : Un lyrisme des profondeurs

Nick Cave retrouve les Bad Seeds pour un album qui visite des contrées sonores inédites.

Jacques Vincent  • 28 mars 2013 abonné·es

Dans le cas de quelqu’un comme Nick Cave, que nous suivons – ou qui nous suit – depuis si longtemps, la sortie d’un nouvel album est toujours l’occasion de reprendre le fil de l’histoire. Combien de temps depuis le dernier disque ? Cinq ans cette fois depuis Dig !!! Lazarus Dig !!! Mais retourner en arrière n’est pas forcément recommandé pour entrer facilement dans celui-ci. Le précédent était encore un opus brûlant, le feu des guitares constamment entretenu par un orgue qui soufflait sur les braises. Marchant à l’énergie, roulant furieusement sur les jantes mais, bien sûr, avec un parfait contrôle de la tenue de route. Push The Sky Away est d’une autre teneur. Il faut dire qu’entre-temps est intervenu un événement majeur pour les Bad Seeds : le départ d’un de ses membres historiques, le guitariste Mick Harvey. Et puis, pour l’électricité viscérale et libératrice, la puissance brute, Nick Cave a depuis quelques années un autre groupe, Grinderman, formé avec une partie des Bad Seeds, dont le violoniste Warren Ellis, qui, s’il ne fait pas partie des membres fondateurs, est devenu un élément central aux côtés de Nick Cave.

L’information importante est donc celle-ci : ce nouvel album est presque totalement dépourvu de guitares. En tout cas, elles ne mènent plus le jeu. Le résultat est une absence d’explosions, de débordements sonores. Pas une absence de tensions pour autant. Et ceux qui y verraient une sorte d’apaisement ne sont que les habituels observateurs de la surface des choses. Il se dégage au contraire un sentiment d’obscurité et d’enfermement qui n’évoque guère la sérénité. Ce sentiment tient à une construction musicale complexe, fondée sur les motifs répétitifs concoctés par Warren Ellis, une basse qui bouillonne comme une boue volcanique, une batterie aux coups sourds et martelés, une menace constante. Une construction pas totalement inédite puisqu’elle rappelle très précisément celle de « Night of The Lotus Eaters » sur l’album précédent. Avec le recul, ce morceau a aujourd’hui des allures prémonitoires. Souvenons-nous : ce mouvement mécanique comme provenant d’une machine industrielle, obsédant de bout en bout, ces grincements comme des griffures. La plupart des musiques de cet album sont construites sur cette base ; malgré tout, les phrases qui tournent en boucle peuvent aussi être jouées par un violon, une viole, voire une flûte, ou évoquer un instrument primitif. Le narrateur, muré dans cet espace, semble se heurter à des parois invisibles et garde pourtant toute sa fureur rentrée. Finalement, mais il faut quelques écoutes pour s’en rendre compte – et pour en mesurer toute la richesse –, l’énergie habituelle des disques de Nick Cave est bien présente. C’est la nature de cette présence qui est inhabituelle. Pas d’envolées lyriques donc, mais plutôt un lyrisme des profondeurs pas moins majestueux ni moins fascinant. Pas moins addictif non plus.

Il faut tout de même noter une exception notable à cet ordonnancement avec, en fin de disque, une chanson très longue dans laquelle Nick Cave retrouve toute sa verve narrative, une de ces histoires dont il est coutumier, faites de télescopages, sorte de film sonore qui fait se côtoyer le bluesman Robert Johnson, Lucifer et l’actrice Miley Cyrus. Une saga fiévreuse et obsédante. Ultime exemple de feu intérieur tellement intense qu’il nous fait voir des flammes qui n’existent pas. L’expression la plus accomplie de la puissance.

Musique
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