Paris s’énerve

En grève pour la troisième fois, les enseignants, soutenus par les parents d’élèves, s’insurgent contre le manque de concertation.

Ingrid Merckx  • 28 mars 2013 abonné·es

Le vieux manège devant l’Hôtel de Ville de Paris est encore fermé tandis qu’enseignants et parents d’élèves accrochent leurs banderoles. « Delanoë snobe les profs » « Pas de passage en force » « Du périscolaire de qualité ! » En grève pour la troisième fois contre la réforme des rythmes scolaires, ils ne peuvent avancer sur le parvis, entouré de barrières. À 9 h 20, ce 25 mars, le soleil tarde à se montrer derrière la haute architecture. Ceux qui sont venus avec leurs enfants, pour cause d’écoles fermées, remontent les cols et les chancelières. Certains ont construit une pyramide de cartons illustrant le montage complexe imposé par la réforme. « Du bricolage ! Quel est l’expert farfelu qui a osé suggérer qu’on pouvait raccourcir la journée de classe en allongeant la pause-déjeuner ? Celui-là, et ceux qui l’ont suivi, ne connaît rien aux rythmes des élèves ni des journées d’école !, s’énerve Marc Noyer, enseignant en CP-CE1 dans le XIVe et syndiqué à la Confédération nationale du travail (CNT). Cette idée est symbolique de cette réforme, qui a été mal pensée et sans tenir compte de l’avis des concernés. La concertation dans la capitale est un simulacre. Un déni de démocratie. Et pourtant, sur tous les gens ici, peut-être 85 % ont voté socialiste en   2012. On pensait qu’on allait souffler… » Raté. L’enseignant voit là la main de l’école libérale décrite par le sociologue Christian Laval [^2].

La semaine « Darcos » de quatre jours ne convenait à personne, mais la semaine de 4,5 jours telle que proposée dans la capitale, ils sont encore nombreux à la rejeter. « C’est plié !, lâche un parent de l’association Prenons le temps pour nos enfants, créée par des déçus de la FCPE, plutôt favorable à la réforme. Nous sommes là pour marteler notre désaccord pendant que le Conseil de Paris vote la réforme. Mais elle devrait passer avec près de 90 % des voix. » Les maires d’arrondissement seraient contraints par des consignes électorales, les conseils d’écoles n’ont qu’un rôle consultatif, les agents spécialisés des écoles maternelles (Asem) et personnels de centre de loisirs – salariés précaires – ont reçu des compensations en termes de postes, de salaires et de formations ; les professeurs de la Ville de Paris (« PVP » : EPS, dessin, musique) aussi. Il n’y a plus que des enseignants et des parents pour protester. Rareté : ils ont le soutien des conservatoires, à qui on aurait demandé de participer aux activités périscolaires dégagées le soir en compensation des créneaux perdus le mercredi matin. « Mais ce n’est pas le même métier, souligne une mère d’élève, membre de la FCPE, désappointée par l’attitude de ses dirigeants. Les PVP ont peur de devoir faire de l’animation, les conservatoires ne veulent pas travailler à l’école, les profs redoutent de laisser leur classe aux centres de loisirs… » À Paris, la réforme rétablit 3 heures de classe le mercredi matin. Les mardi et vendredi, l’école finira à 15 heures et se prolongera par une heure et demie de périscolaire. Les journées des lundi et jeudi resteront de 6 heures. « Alors que le décret prévoit que les journées ne dépassent pas 5 h 30. Même les décideurs ne respectent pas le cadre du décret ! », reprend Marc Noyer. Pourquoi le mercredi plutôt que le samedi ? Actuellement, 20 % des élèves iraient au centre aéré (payant) le mercredi. S’il y a école le mercredi matin et centre aéré gratuit l’après-midi, les effectifs vont tripler. Quelle cantine ? Quels locaux ? « Alors même que certaines écoles à Paris n’ont pas de cour et font la récréation dans l’espace vert à côté, soupire une mère d’élève du XVe. Et comment répartir les élèves dans les centres d’animation et gymnases voisins et accompagner des petits à vingt minutes de marche ? “Imagination !”, c’est le mot d’ordre de la mairie, ironise-t-elle. Mais ça prend du temps d’imaginer ! À la rentrée, ça va surtout être le bazar avec d’énormes disparités entre les écoles et entre les élèves… »

10 h 30, le vieux manège s’est mis à tourner sans que personne ne s’en préoccupe. Le cortège se dirige vers la Sorbonne où se trouvent les bureaux du rectorat. Il longe la Seine aux sons des sifflets puis se rompt. Le corps improvise un sit-in devant l’aile droite de l’Hôtel de Ville. « Un membre du Conseil de Paris est sorti en disant que Bertrand Delanoë avait été félicité pour son sens de la concertation alors qu’on s’époumone sous ses fenêtres ! », rapporte un parent d’élève. Les CRS s’interposent le long du mur. Les manifestants de tête font demi-tour et reviennent s’asseoir auprès des autres pour crier « retrait ! », les yeux levés vers les étages. Ingrid Merckx

[^2]: (1) L’école n’est pas une entreprise, Christian Laval, La Découverte, 2004.

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Sale temps pour la démocratie
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