Rythmes scolaires : à chaque ville son tempo

La moitié des communes renoncent à appliquer la réforme dès la rentrée 2013. En tête des blocages : le coût de l’opération, le problème des recrutements et la formation.

Ingrid Merckx  • 28 mars 2013 abonné·es

Déception pour le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon : de nombreux maires, même socialistes, préfèrent « prendre le temps » de la réforme pour éviter de braquer les acteurs concernés : enseignants, parents d’élèves, personnels municipaux. Au 21 mars, sur les 120 villes membres du réseau des villes éducatrices, 50 % avaient déjà choisi 2014, selon la Gazette des communes. Principales difficultés invoquées : le coût, les ressources humaines et les normes d’encadrement. Le ministre table sur 50 % des écoliers passés à la semaine de 4,5 jours en 2013, soit 3 millions d’enfants. Le Snuipp, syndicat du premier degré, estime ce chiffre autour de 14 %.

Alfortville, Val-de-Marne

Les journaux municipaux sont un bon baromètre : nombre de maires ont choisi de consacrer leur édito de mars à la réforme. « Les consultations que j’ai menées ont dégagé trois principales inquiétudes pour les enseignants et les parents d’élèves, écrit Luc Carvounas, sénateur-maire d’Alfortville (94). Tout d’abord, le positionnement dans la semaine des 3 heures de cours libérées, déplacées au mercredi ou au samedi matin. Ensuite, l’interrogation sur l’encadrement des activités supplémentaires. Enfin, la problématique des locaux, selon le type d’activité choisi. » Bilan d’étape au 28 février : report de la réforme à 2014, demi-journée supplémentaire le mercredi, gratuité des heures de périscolaire, recours à des animateurs majeurs et qualifiés. À Alfortville, 120 classes de primaire sur 170 ont signé une pétition réclamant l’abrogation du décret. Des parents expriment des doutes sur la gratuité : « La municipalité promet que les activités périscolaires seront gratuites, mais elles ont un coût, surtout humain, il faut payer les intervenants, donc la fiscalité locale augmentera… » L’Union locale des écoles d’Alfortville a réclamé le recrutement et la formation d’animateurs, un référent animateur par école, un changement du statut des Atsem   [^2] pour leur permettre d’encadrer les activités périscolaires en maternelle, le report des subventions manquées de 2013 sur 2014 et le recrutement d’un responsable du Projet éducatif local. Le coût de la réforme a été chiffré à 1 million d’euros annuel.

Lyon, Rhône

Les écoles privées, issues à 90 % de l’enseignement catholique, ne sont pas concernées par la décision des maires d’appliquer la réforme des rythmes scolaires. Mais nombre d’entre elles s’aligneront sur les écoles publiques pour ne pas perdre les avantages des services municipaux. En cas d’application de la réforme, elles seront éligibles au fonds d’aide prévu par l’État, à hauteur de 50 euros par élève. Une somme égale à celle octroyée aux écoles publiques. Elles pourront également toucher, en cas de besoin, la part majorée de la dotation, soit 40 euros supplémentaires.

Alors que de nombreuses communes rechignent à faire appliquer la mesure à la rentrée prochaine par manque de moyens, l’affectation d’une partie du fonds d’aide aux écoles privées dérange. Un tel versement contreviendrait d’ailleurs à la loi Debré, qui exclut des financements publics les activités périscolaires des établissements privés. Les modalités de versement aux écoles privées doivent encore être précisées par décret. Des précisions très attendues.

« Déçue ! » Administratrice départementale de la FCPE 69, Anne Magnin-Baghe espérait que la réforme se ferait en 2013. « La semaine de 4 jours est une catastrophe. Revenir à 4,5 jours permettra de meilleures conditions d’apprentissage. Pourquoi attendre   ? » La ville de Lyon est pourvue d’un plan éducatif local qui « tient la route ». En outre, un établissement de la ville est déjà passé à 4,5 jours. « Un travail de longue haleine qui a bien fonctionné. » Anne Magnin-Baghe a tout de même quelques doutes sur les moyens à mettre en œuvre. Ce qui l’inquiète en premier lieu : la formation des personnels encadrants (centre de loisirs et cantine). Quant à ce que les enfants feraient pendant leur temps libéré, mystère. « Mais se mettre dès maintenant autour d’une table nous aurait forcés à le préciser. » Président du groupe municipal Ensemble pour Lyon, Michel Havard s’inquiète quant à lui du coût de la réforme : « 8,3   millions en vitesse de croisière, sachant qu’à Grenoble, qui compte moins d’écoliers qu’à Lyon, le maire annonce un coût de 20 millions d’euros. » « Cinq   millions la première année, six la deuxième puis huit pour la mise en place définitive », rétorque Gérard Colomb, maire de Lyon. D’après lui, il manquerait 700 encadrants. Un partenariat est en discussion avec la Caisse nationale d’allocations familiales, cofinanceur de la réforme.

Chalinargues, Cantal

Laurie est enseignante dans l’école rurale de Chalinargues   (15). Celle-ci compte deux classes   : la directrice enseigne à tous les niveaux de la maternelle au CP   (17   élèves), et elle à tous les autres, du CE1 au CM2   (16   élèves). « Le débat n’a pas eu lieu. Nous avons été informées par nos syndicats, raconte cette enseignante. Nous avons vite compris que le passage en 2013 ou 2014 ne dépendait pas de nous mais du maire. Dans les communes rurales que je connais, ce flou n’a fait que générer ou exacerber des tensions qui pouvaient déjà exister entre l’équipe enseignante et les maires. » Les 3 h 30 de classe dégagées le soir se feront plutôt le mercredi matin dans cette école : « Il paraît préférable de s’aligner sur le collège… Pour nous, enseignantes, le volume horaire reste constant mais les enfants ne passeront pas plus de 5 h 30 par jour en classe. Ils iront ensuite suivre des activités organisées par la mairie. » Sauf que cette dernière n’est pas prête : pas de personnel formé, pas d’étudiants disponibles en semaine sur ce territoire rural… « Tout le monde espère que le tissu associatif, essentiellement sportif, donnera un coup de main, mais les encadrants sont bénévoles, donc pas disponibles à 15 h 30. Nous avons peur que le périscolaire se transforme en garderie, ou que des contrats aidés soient mis en place avec des gens non formés… » Une solution serait que ce soit géré par la communauté de communes. « La subvention promise par le gouvernement ne permet ni les travaux nécessaires à la création de locaux adaptés ou à l’aménagement des classes ni des embauches. Et cette subvention ne dure que deux ans, avec diminution de moitié la seconde année… » L’Asem de l’école fait déjà la garderie à partir de 8 heures, enchaîne avec son travail dans la classe en maternelle, puis s’occupe du déjeuner des petits, de leur sieste et assure la garderie du soir jusqu’à 17 heures. « Compte tenu de son volume horaire, elle tient à sa pause du mercredi. Comment ferons-nous sans embauche ? » Plutôt que cette réforme, Laurie aurait préféré une refonte des programmes ou une discussion sur le rôle des parents. « En outre, je préfère que mes élèves soient avec moi plutôt qu’en garderie dans la cour ou des salles trop petites. Enfin, nous n’aurons pas la chance des grandes villes d’avoir des encadrants qualifiés dans les domaines sportifs ou culturels deux heures par semaine. Cette réforme accentuera les inégalités entre les communes rurales et les autres. »

[^2]: Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles.

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Sale temps pour la démocratie
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