Iter, labo du dumping social ?

Des syndicalistes CGT de Cadarache s’inquiètent des conditions de travail qui attendent les ouvriers du chantier du réacteur expérimental, soumis à la logique du libéralisme européen.

Marion Genevois  • 25 avril 2013 abonné·es

«N ous refusons des conditions de travail d’un autre siècle », assène Alain Champarnaud. Le syndicaliste CGT du centre de recherche du Commissariat à l’énergie atomique à Cadarache (Bouches-du-Rhône) est aussi représentant CGT au comité local d’information sur Iter [^2], un réacteur expérimental de fusion nucléaire en cours de construction depuis 2010. Alain Champarnaud craint en effet des conditions de travail « indignes » sur ce chantier international financé par l’Union européenne, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée, la Fédération de Russie et les États-Unis. Le pharaonique projet est estimé à près de 15 milliards d’euros si l’on se rapporte à la dernière estimation de la participation de l’Union européenne, soit 6,6 milliards, la France contribuant à hauteur de 1,1 milliard. Outre le coût, les syndicalistes CGT du centre de recherche et des unions locales dénoncent « des pratiques scandaleuses » entourant le chantier. Alain Champarnaud prévient : « Trois   mille ouvriers low cost sont attendus sur le chantier d’Iter et seront traités comme des esclaves ! » S’il est aussi catégorique, c’est qu’en 2010 les syndicalistes de Cadarache ont été témoins d’une situation particulièrement affligeante sur le chantier du réacteur Jules-Horowitz (RJH), jouxtant celui d’Iter. « Des ouvriers portugais n’ont pas reçu de salaires pendant deux mois et étaient logés dans des conditions inacceptables ! », se souvient-il.

Entassés à neuf dans un appartement insalubre, ces ouvriers s’étaient plaint auprès des syndicalistes : « Nous avons alerté l’inspection du travail, qui a constaté les faits et obligé les patrons à verser l’intégralité des salaires aux ouvriers. » Forts de cette expérience, les syndicalistes s’inquiètent de l’évolution du chantier d’Iter. La dimension internationale et la taille hors norme du réacteur font dire à Alain Champarnaud que, en matière de dumping social, « Iter risque d’être un RJH puissance   10 ! ». Ses collègues et lui ont été surpris par la signature en février d’une « convention de partenariat pour la lutte contre le travail dissimulé » entre Osuma Mojita, directeur général de l’organisation Iter, et Dominique Clément, directeur des Urssaf de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Une convention de prétendue bonne pratique qui laisse les syndicalistes dubitatifs : « Ce texte met en place un calendrier et un délai de prévenance interdisant tout contrôle inopiné des inspecteurs du travail. Cela apparaît en complète contradiction avec la mission des inspecteurs de l’Urssaf », expose Alain Champarnaud. La lutte contre la fraude et l’évasion sociale assurée par l’Urssaf se voit ici soumise aux exigences des dirigeants du projet. Les entreprises auront tout loisir de disposer d’une situation préétablie comme « non sanctionnable » lors d’un contrôle sur le site, qui comprend une quarantaine de petits chantiers, clos et indépendants, et dont l’accès est restreint.

À l’extérieur du chantier, la situation ne semble pas meilleure, comme l’indique une récente étude de logements destinée aux entreprises. Commandé par l’agence Iter France, un « guide du logement » répertorie les possibilités d’hébergement pour environ 3 000 travailleurs. Un nombre qui pourrait s’élever à 4 000 au plus fort des travaux, entre  2014 et 2015. L’étude en arrive à la conclusion suivante : « Dans tous les cas de figure, le parc de logements existant semble très insuffisant pour répondre à la totalité des besoins des entreprises. » Les 3 000 ouvriers attendus, pour la plupart originaires du sud et de l’est de l’Europe, se verront donc hébergés dans des habitats précaires : un camping, situé à 42 km du site de Cadarache, prévoit d’accueillir 779 personnes en mobile-home, Algéco et autres logements de fortune. Même si la situation est connue depuis plusieurs années, « rien n’a été fait. Il est maintenant trop tard pour entamer la construction d’habitations, alors, la seule chose que nous pouvons faire, c’est limiter les dégâts », réagit Alain Champarnaud. Face à cette situation, les syndicalistes ont tenté à plusieurs reprises d’alerter les élus locaux. En vain, puisque aucune réponse n’a été communiquée à ce jour. Alain Champarnaud dénonce pour sa part un libéralisme économique européen, « où ce sont les entreprises et non plus les politiciens qui font la politique ».

[^2]: International Thermonuclear Experimental Reactor.

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