L’apartheid qui ne dit pas son nom

Le journaliste du Monde Michel Bôle-Richard dresse un inventaire terrible du système ségrégationniste israélien.

Denis Sieffert  • 4 avril 2013 abonné·es

Ancien correspondant du Monde en Afrique du Sud, de 1984 à 1990 (les dates ont de l’importance), Michel Bôle-Richard sait de quoi il parle. En usant pour Israël du mot « apartheid », qui en afrikaner signifie littéralement « mis à part », il n’est surtout pas dans la polémique. L’analyse qu’il tire de son séjour en Israël, où il fut en poste de 2006 à 2009, et de reportages ultérieurs, s’appuie sur une comparaison difficilement réfutable. Bien sûr, on pourrait choisir le mot hébreu « Hafrada », plus discret, pour décrire la même réalité. L’hypocrisie en plus. Mais, quoi qu’il en soit, la « séparation », même si elle ne figure pas dans la Constitution israélienne, d’ailleurs inexistante, s’impose comme une évidence. Bôle-Richard parle à juste titre d’ « apartheid masqué ». Car c’est bien un système de ségrégation qui s’est installé en Israël à l’encontre de ceux qu’on appelle les Arabes israéliens et plus encore des Palestiniens de Jérusalem et des Territoires.

En renfort de sa démonstration, Bôle-Richard évoque la « surprise » d’un groupe de 22 Sud-Africains, journalistes, juristes, écrivains, blancs, noirs, indiens, juifs, « venus [en 2008] se rendre compte sur place d’une réalité dont ils n’avaient pas la moindre idée ». La députée Barbara Hogan, membre du groupe, fit cette observation : « Les non-Blancs vivaient dans des zones séparées, mais il n’y a jamais eu en Afrique du Sud de route séparée, de “barrière de sécurité”, de check-point, de plaques d’immatriculation différentes, de cantonnement des zones délimitées. » Andrew Feinstein, juif qui a perdu sa mère et ses dix frères et sœurs, victimes du génocide nazi, eut cette réflexion : « Je comprends parfaitement la peur éprouvée par les juifs, mais elle ne peut justifier ce qui se passe, et je trouve triste que cela se fasse au nom du judaïsme. » Bôle-Richard fait un inventaire quasi exhaustif de tous les dispositifs de discrimination, y compris à l’encontre de cette population souvent oubliée : les Bédouins. Le journaliste du Monde conclut par une question : « Les Sud-Africains ont su se tirer de ce mauvais pas. Est-ce que les Israéliens trouveront les ressources et la sagesse nécessaires pour y parvenir ? » «  C’est en tout cas leur intérêt, écrit-il, pour préserver l’avenir de l’État juif, sous peine de devenir une minorité dans cet espace tant convoité, et par voie de conséquence de renforcer un système de ségrégation pour protéger leur identité. » On ne saurait mieux poser le problème.

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