« Massalia Blues », de Minna Sif : Affreux, sales et drôlement méchants

Dans Massalia Blues , Minna Sif dynamite les clichés sur les populations immigrées.

Anaïs Heluin  • 11 avril 2013 abonné·es

Brahim et ses acolytes, Maghrébins échoués sur le port de Marseille, sont des Gargantua et des Pantagruel sans le sou. Leur appétit phénoménal ne connaît pas de répit, et leur énergie, fille du désespoir, se déploie dans les activités les plus humiliantes. Mendicité, prostitution, petits trafics en tous genres… Les pauvres hères de Massalia Blues, second roman de Minna Sif, s’adonnent sans relâche aux vices dont regorgent les clichés associés aux immigrés qui résident en France. À tel point qu’ils échappent au réalisme teinté de misérabilisme encore dominant dans les littératures relatives à l’immigration.

La démarche de l’auteure évoque celle du romancier d’origine togolaise Sami Tchak. Dans Place des fêtes  (2001), celui-ci affuble ses personnages –   eux aussi issus de l’immigration   – d’une sexualité plus que débridée, il les fait succomber à l’inceste et à une tripotée d’autres pratiques réprouvées. En grossissant jusqu’à l’absurde les idées reçues qui pèsent sur les populations venues d’ailleurs, les textes de ces auteurs détournent avec truculence les discours de rejet de la figure de l’étranger. Plus sales, immoraux et excentriques que ne les aurait décrits le plus intolérant des racistes, les protagonistes de Massalia Blues sont des caricatures de caricatures. Imaginés par une narratrice écrivain public officiant au bureau de poste Colbert, ces personnages forment une topographie de la misère des déracinés au visage clownesque. Nul besoin de les lier entre eux par une intrigue. Brahim, le clochard céleste et chapardeur notoire, l’oncle Kébir, marchand de sommeil sans vergogne, Fatima Kader, l’ancienne prostituée hystérique, ou encore Hadj Abdelsalem, le « saint homme qui exorcisait les envoûtés et les fous délirants à l’eau salée », ont chacun leur moment de gloire dans le Marseille dessiné par la prose gouailleuse de Minna Sif.

La langue argotique de l’auteure, truffée de néologismes, relie entre elles les aventures picaresques des différents personnages. Elle révèle l’inventivité de la population mise à l’honneur dans l’ouvrage, conférant aux immigrés un véritable vocabulaire corporel. Expert en solutions de survie toutes plus tordues les unes que les autres, le personnel romanesque de ce texte est un génie en haillons. Plus il se vautre dans des situations a priori dégradantes, plus il prouve sa souveraine intelligence et son humour envers et contre tout.

Littérature
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