Après l’évacuation, l’errance

Depuis la destruction de leur camp en bordure du bois de Vincennes, cinq familles roms survivent dans l’instabilité.

Erwan Manac'h  • 2 mai 2013 abonné·es

C’est un petit campement de bric et de broc sur une bretelle désaffectée de l’autoroute A4, en bordure de Paris. Peu après 6 heures du matin, le 27 mars, les Roms installés là depuis près d’un an bouclent leurs valises. Voilà plus d’une semaine qu’ils reçoivent la visite quotidienne des représentants de la préfecture de police de Paris, qui leur répètent à l’envi que la destruction du camp approche. Dans la nuit, un bulldozer s’est même rangé devant la barrière rouillée qui bloque l’accès au vieux bras autoroutier.

Elle est Rom, née en Roumanie. À 22 ans, Anina vient d’être admise à la Sorbonne. Une fierté immense pour sa famille, une étape pour celle qui puise sa rage de réussir dans le rêve de devenir magistrate, marquée à vie par une cohorte d’humiliations et d’injustices. Anina, en acceptant de raconter son histoire [^2], est devenue célèbre chez les siens en Roumanie et aussi dans les médias français. On n’échappe pas au sentiment de culpabilité collective que fait jaillir sa prière : « Je vous supplie, quand demain, dans la rue, vous croiserez une dame au dos courbé, affichette en carton sur les genoux, [avec] une petite fille aux longs cheveux noirs, ne la jugez pas, ne l’insultez pas, ne la frappez pas. » [^2]: Je suis Tzigane et je le reste , Anina Ciuciu avec Frédéric Veille, éd. City, 256 p., 15 euros.
En un peu plus d’une heure, les cinq familles sont conduites une à une, sous escorte policière, dans des minibus en direction d’hôtels sociaux aux quatre coins de la région parisienne. « Une solution durable d’hébergement » a été trouvée pour chacune d’entre elles, claironne la préfecture dans un communiqué publié le jour même. La réalité est bien différente. Trois à six nuits après l’évacuation selon les cas, les 34 expulsés pointaient déjà au 115, le numéro d’appel pour l’hébergement d’urgence. Chaque famille navigue depuis d’hôtel social en hôtel social. Le couple Buriceanu et ses cinq enfants ont d’abord été hébergés dans une maison de La Queue-en-Brie (Val-de-Marne) pendant une semaine. Laissés à la rue, ils se sont résolus à rejoindre des proches dans un autre camp au bord de l’autoroute sur la commune de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). « Ils sont restés plus d’une semaine dans des conditions épouvantables, raconte Évelyne Perrin, militante infatigable qui suit ces familles depuis des mois. J’ai donc appelé personnellement le 115, qui leur a trouvé une place dans un hôtel social à Villejuif (Val-de-Marne). Mais, après trois nuits, ils devaient déjà partir. » Une nouvelle fois à la rue, la famille Buriceanu occupe depuis le 15 avril une cabane qu’elle loue 200 euros pour quinze jours dans un campement de Montreuil où vivent 30 autres familles. « Nous n’avons rien ici, pas d’argent, pas de nourriture », se plaint Eugène, le père de famille, contacté par téléphone. Les efforts des militants ont pourtant permis un dénouement inédit. Le tribunal administratif de Paris a émis, le 22 avril, une ordonnance en référé obligeant le préfet de Paris à trouver une structure d’hébergement à cette famille, sous quinze jours. « C’est extrêmement rare et c’est nouveau », souligne Me Julie Launois-Flacelière, avocate de la famille et spécialiste en droit des étrangers. « C’est une population qui fait rarement jouer ses droits et n’appelle pas toujours le 115. Mais des réseaux de soutien se créent pour leur venir en aide, et nous avons monté un collectif d’avocats qui commence à se faire connaître. » L’incertitude devrait perdurer, en revanche, pour les quatre autres familles hébergées par le 115. « Elles me disent qu’elles vont bien, raconte Évelyne Perrin, qui peine elle-même à garder leur trace, mais elles n’ont aucune vision de leur avenir au-delà d’un mois. »

Sur la bretelle d’autoroute désaffectée, des centaines de blocs de pierre quadrillent aujourd’hui le bitume pour empêcher toute installation. Les alentours sont grillagés et les buttes qui surplombent les lieux sont désormais inaccessibles. Les forces de l’ordre ont employé les grands moyens. Il faut dire que la commune toute proche de Joinville-le-Pont est déterminée à poursuivre sa « chasse aux Roms ». Ces dernières semaines, son maire UMP prenait la tête – avec sept autres villes UMP – d’une mobilisation contre l’installation d’une aire d’accueil pour gens du voyage sur un parking à 700 mètres du camp expulsé le 27 mars. Une sinistre mobilisation qui prétendait vouloir « sauver le bois de Vincennes ».

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