Laurent El Ghozi : « Oui, les Roms veulent s’intégrer ! »

Si on leur en donne la possibilité, les Roms entrent sur le marché du travail, contrairement à ce qu’affirme le ministre de l’Intérieur.

Ingrid Merckx  • 2 mai 2013 abonné·es

Médecin et élu socialiste à Nanterre, Laurent El Ghozi s’indigne du temps que la France met à lever les mesures transitoires bloquant l’accès des Roms à l’emploi. Travailler est pourtant la première solution à l’impasse dans laquelle ces citoyens européens sont coincés. Il dénonce également la « schizophrénie » de l’État, qui publie une circulaire permettant leur intégration quand le ministre de l’Intérieur ne voit leur avenir qu’en Roumanie. L’immense majorité des Roms a pourtant nourri un projet de vie en France.

Nous sommes à huit mois de la fin des mesures transitoires. Enfin une bonne nouvelle ?

Laurent El Ghozi : Ces mesures [mises en place lors de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union en 2007] vont enfin tomber, mais on a repoussé cette décision jusqu’à l’extrême limite, à savoir décembre 2013. Or, elles ont déjà été assouplies : la taxe de l’Office français de l’immigration et de l’intégration [pour les employeurs embauchant des Roumains et des Bulgares], qui constituait un obstacle majeur, a disparu. La liste des métiers accessibles est passée de 150 à 291. Et l’autorisation du préfet pour valider un contrat de travail souffrait de délais que la circulaire Sapin du 31 janvier 2013 a réduits à un mois maximum. Dès aujourd’hui, si les préfectures et les services de Pôle emploi jouent le jeu, l’accès au travail est possible pour les Roms. D’ailleurs, depuis janvier, il y a deux fois plus de contrats de travail signés avec des Roumains et des Bulgares qu’avant. À raison de 200 nouveaux accédants supplémentaires à l’emploi par mois, les Roms prouvent leur volonté de travailler et de s’intégrer. Malgré le chômage, ils trouvent des interstices parce qu’ils sont moins exigeants, ont des compétences même sans qualification et sont considérés comme de bons travailleurs. Ils sont 20 000 maximum en France, 8 000 potentiellement actifs. À ce rythme, ils travailleront tous dans les deux ou trois ans qui viennent. Le scandale, c’est qu’on aurait dû décider de lever ces mesures beaucoup plus tôt. Cela montre aussi à quel point la situation a été fabriquée.

Que voulez-vous dire ?

  • 10 à 12 millions de Roms en Europe.
  • -15 000 à 20 000 Roms en France.
  • -11 803 personnes ont été obligées de quitter leur lieu de vie en 2012, dont 80 % à la suite d’une évacuation forcée.
  • -117 sites ont été évacués en 2012 : 97 évacuations forcées, neuf expulsions collectives par charter, 11 évacuations à la suite d’un incendie ou d’une attaque de riverains.
  • Un Rom sur cinq a dû quitter son lieu de vie depuis janvier 2013.
  • -28 campements abritant 2 873 personnes ont été évacués au premier trimestre 2013. Soit 25 % de plus qu’en 2012 sur la même période.
  • -77 % des personnes interrogées dans un sondage de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) considèrent les Roms comme un « groupe à part », et même « comme le plus à part des groupes à part ».
Tout le monde réclame la levée immédiate des mesures transitoires, notamment la Halde, depuis octobre 2009. Le taux de chômage, la pression politico-médiatique, voire syndicale, et le discours du Front national laissant entendre qu’ils vont « prendre le pain des Français » ont retardé la décision. Or, d’une part, les Roms trouvent du travail qui ne trouvait pas preneur. Et, d’autre part, maintenir des gens dans une misère qui les oblige à mendier, voire à trafiquer, est idéal pour imposer des lois sécuritaires. Cibler 20 000 personnes que tout le monde « déteste » représente un intérêt en termes de politique intérieure. Les Roms servent de bouc émissaire.

Les évacuations se multiplient, avec des chiffres encore plus importants ce premier trimestre 2013 qu’à la même période en 2012. Au sujet des Roms, la gauche, c’est comme la droite ?

C’est même pire, quantitativement… Si le ministre de l’Intérieur dit avoir abandonné la politique du chiffre, il y a eu plus d’évacuations, de reconduites à la frontière et d’obligations de quitter le territoire (OQTF) depuis août qu’à la même période les années précédentes. Manuel Valls martèle qu’il applique la loi, mais il faut se demander pourquoi il se saisit des Roms pour monter en épingle une politique dont l’inefficacité saute aux yeux. Un exemple : il y avait, en octobre 2012, 32 terrains Roms à Marseille et alentour, 1 600 personnes recensées. Il y a eu tous les mois entre trois et cinq terrains évacués. Cinq mois plus tard, on recense 29 terrains avec 1 490 personnes. Ce qui veut dire que le nombre de Roms autour de Marseille a diminué de moins de 10 % en dépit de ces évacuations. Cette politique n’a donc pas pour objectif de faire disparaître les camps, puisqu’ils se reforment un peu plus loin, ni de proposer des solutions. Elle a pour but d’animer une actualité médiatique et de faire croire qu’on fait quelque chose. Et je ne parle pas de son coût financier et social, qui engendre des traumatismes, des ruptures dans la continuité des soins, la poursuite des scolarités et les suivis sociaux.

Manuel Valls a décrété que la grande majorité des Roms n’avait pas la volonté de s’intégrer…

C’est de la désinformation ! Nous avons prouvé le contraire : au Moulin-Galant, dans l’Essonne, il y avait 250 Roms, dont la moitié arrivés en France depuis plus de dix ans, et 60 % des enfants scolarisés malgré les évacuations répétées ! Pourtant, une semaine après le diagnostic qu’impose la circulaire du 26 août 2012, signée par sept ministres, le camp a été évacué. Parmi les 40 familles, six suivies par l’Aide sociale à l’enfance sont restées à Grigny, les autres ont été dispersées à 30 ou 40 kilomètres. Allez réclamer, après ça, une assiduité à l’école et un suivi social et sanitaire ! En dix jours, celles qui étaient parties se sont regroupées autour de celles restées à Grigny, où un bidonville s’est reformé. La circulaire ne dit pas seulement qu’il faut établir un diagnostic préalable, mais qu’il faut conditionner les évacuations à des solutions en termes de scolarisation, de travail, de logement, de formation, d’accès aux droits…

Comment se fait-il que des préfets comme ceux de l’Essonne ou du Rhône se permettent de ne pas appliquer ce texte ?

Leur patron est le ministre de l’Intérieur. Si sa mission émane du Premier ministre, le préfet Alain Régnier, chargé de l’application de la circulaire, n’a pas autorité sur eux. Lui-même parle de « schizophrénie d’État ». Il fait tout ce qu’il peut. Si on l’écoutait, la question serait réglée en deux ans. Manuel Valls se trompe de politique. Il pense que le respect des valeurs républicaines passe d’abord par le respect de l’autorité. Liberté, égalité, fraternité et solidarité me paraissent aussi fondatrices que l’ordre républicain. Lequel exige d’ailleurs la mise en œuvre complète de la circulaire du 26 août.

Circulaire qui porte le nom de Manuel Valls…

Quand le gouvernement s’est mis en place, nous avons interpellé Jean-Marc Ayrault. Puis, début juillet, Manuel Valls a relancé des évacuations mises en attente pendant la campagne. Nous avons alors rappelé les engagements de François Hollande, jugeant « intolérable » la situation des Roms. Le 22 août, Romeurope a été reçu par le Premier ministre. Quatre jours après, la circulaire a été publiée. Malgré son titre, « Circulaire relative à l’évacuation des campements illicites et des bidonvilles », et l’absence de levée immédiate des mesures transitoires, elle reprend en grande partie nos propositions et concerne tous les champs, avec une entrée dans le droit commun après un diagnostic global et individualisé… Si on l’applique avec bienveillance, ce texte permet d’avancer. Mais il faudrait que le gouvernement parle d’une seule voix.

En quoi l’entrée dans le droit commun des Roms est-elle préférable à des mesures spécifiques ?

Les Roms ne sont pas nomades. Ils vivent dans des caravanes parce que, quand on habite sur un terrain pourri et qu’on est évacué toutes les trois semaines, c’est mieux qu’une cabane. Ensuite, il n’y a aucune spécificité culturelle, ethnique, raciale qui justifie des mesures dérogatoires au droit commun. Les Roms ne sont pas plus difficiles à intégrer que n’importe quel migrant pauvre venu d’un pays dévasté. Les seules mesures particulières à prendre, c’est de lutter contre les discriminations dont ils sont victimes. C’est pourquoi Romeurope s’oppose aux projets visant à regrouper dans un « village » des populations sur des bases ethnoraciales supposées. Sinon, on mène une politique qui peut être qualifiée de raciste.

Une des solutions serait de leur permettre d’accéder au logement social. Comment éviter la mise en concurrence des pauvres ?

La population rom est limitée : 20 000 personnes, cela fait 3 000 logements sociaux. Ce n’est pas beaucoup s’ils ne sont pas concentrés dans les mêmes villes déjà surchargées. Il faut donc trouver des solutions nationales.

Qu’en est-il de ceux dont le projet serait de retourner en Roumanie ?

Dans le diagnostic du Moulin-Galant, cinq familles sur 40 avaient le souhait de rentrer en Roumanie. Mais elles sont parties sans rien et ne peuvent rentrer sans rien. Il faut donc les accompagner. Le problème, c’est qu’il y a peu d’associations fiables pour coopérer dans ce pays où les Roms continuent à être traités comme des chiens.

Les Roms sont-ils appelés à se fondre dans la population, comme tout migrant, au bout de quelques années ?

J’en suis convaincu ! Encore faut-il que nous sachions les accueillir.

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